dimanche 10 octobre 2010

Chasse aux sorciers

Avec Maleficus (Nouveau Monde éditions, 2007, ISBN 978-2-266-18825-8), la romancière Emma Locatelli nous entraîne à sa suite, à la fin des années 1650, dans une contrée des Ardennes que les jalousies entre villageois et les fanatismes des religieux et des juges vont plonger dans une vertigineuse et irréfrénable chasse aux sorciers et sorcières.


Il n'y a, dans cette histoire, absolument aucun élément surnaturel. Et c'est justement ce qui peut m'intéresser dans un roman. D'une part parce que, pour une fois, c'est une histoire de sorcellerie qui ne tombe pas dans la facilité du surnaturel de troisième série, et d'autre part parce que les mentalités humaines me semblent capables de suffisamment d'extrémités pour qu'il ne soit pas nécessaire de recourir à des créatures surnaturelles pour incarner nos pires dérives. J'ai même tendance à penser que ces penchants les plus noirs sont d'autant plus forts, dans les œuvres de fiction – romans, films, etc. – qu'ils ne sont pas éloignés de nous, par les auteurs, en les faisant porter par des créatures surnaturelles, mais bien en étant ceux d'êtres humains. Un inquisiteur me fait largement plus froid dans le dos qu'un loup-garou.

Et dans Maleficus, Emma Locatelli n'hésite pas à en mettre, des penchants humains extrêmes. Au point qu'elle nous concocte une cuisine qui en devient trop lourde. Le juge est forcément un fanatique jusqu'au-boutiste, le curé est forcément torturé par les pensées de péché de chair, le médecin est forcément un athée enragé, les paysans sont forcément veules, et le personnage central du roman est forcément un esprit ouvert, redresseur de torts, mais avec un lourd secret.
Pour un roman, ça fait beaucoup. Trop, même. Mais pour un scénario de JdR, ça peut faire une matière première intéressante :
- des évènements bizarres, des morts inexpliquées, des rancœurs de longue date, dans le cadre d'un petit village ;
- des personnages aux caractères bien tranchés, archétypaux, qui les rendent faciles à incarner et à faire vivre ;
- une trame qui mettra les PJ face à une implacable machine judiciaire et religieuse qui nourrit les haines et broie les faibles.

Comme je l'ai écrit plus haut, il me semble que cette intrigue prendra plus de force si elle est transposée dans un jeu de rôle dont l'univers n'a pas de composante surnaturelle explicite. Se mettre en travers d'une chasse aux sorciers quand les « sorciers » n'ont, justement, rien de sorciers, me paraît constituer un enjeu plus intéressant quand si ce sont de « vrais » jeteurs de sort.
Adapter cette trame à des JdR « historiques » dans un contexte où l'arbitraire règne en maître tant dans le pouvoir judiciaire que dans le pouvoir religieux est donc, à mes yeux, une perspective plus riche que les autres. Par exemple pour Capitan Alatriste, avec le formidable opposant que représente l'Inquisition espagnole. Ou encore pour Te Deum pour un massacre, où les fanatiques religieux ne manquent pas.
Mais des MJ plus férus que moi de jeux à univers fantastique trouveront sûrement des moyens d'adapter la trame de ce roman à leur jeu préféré, de Warhammer (avec ses répurgateurs) au Livre des cinq anneaux (avec sa chasse aux maho tsukai) en passant par Dogs in the Vineyard (et ses Cerbères de la Foi) ou Dark Heresy (et son Inquisition).
 
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samedi 14 août 2010

Le juge fait le ménage

Un juge incorruptible, un redoutable combattant, un secrétaire médecin légiste et un adolescent débrouillard, vous me direz que ça sent le groupe de personnages concocté par des rôlistes autour d'une table de jeu. J'en conviens. Mais n'allez pas croire pour autant que les rôlistes ont inventé la poudre ; les Chinois l'ont fait bien avant eux ! Et le juge Bao Zheng, personnage historique devenu incarnation légendaire de la justice en Chine, exerçait déjà son métier voici mille ans, donc un peu avant la sortie de la première boîte de D&D.

Pourtant, avec Juge Bao et le Phœnix de jade, de Patrick Party et Chongrui Nie (Editions Fei, 2010, ISBN 978-2-35966-000-5), le scénariste de JdR un peu flemmard peut se frotter les mains : c'est une aventure tout cuite qu'il tient entre ses mains.


Le décor : une province un peu éloignée du pouvoir central.
L'intrigue : un groupe de notables (hauts fonctionnaires, riches marchands) fait main basse sur la capitale de la province par de la spéculation immobilière, par tous les moyens : corruption, prévarication, concussion, extorsion, fausses accusations.
Le point de départ de l'aventure : une mère mourante demande au juge Bao de sortir son fils de la geôle où il a été jeté sous l'accusation d'un crime qu'il n'a pas commis.
Gouverneur véreux, marchands avides, boutiquiers opprimés, courtisanes élégantes, assassins de l'ombre, la galerie de futurs PNJ est livrée clés en main.
Que demander de plus ?

L'adaptation à la Chine antique est à peu près immédiate. Les amoureux des détails auront le soin de fignoler l'intégration au contexte historique de leur jeu préféré (l'époque de Qin, par exemple, est antérieure de 12 à 13 siècles, à celle des exploits du juge Bao).
Avec un chouïa de travail, le scénariste rôliste peut s'emparer de cette histoire pour bien d'autres univers de JdR. Par exemple, les familiers du western n'auront aucun mal à transposer cela en une histoire de spéculation de terrains sur le futur tracé d'une voie de chemin de fer (au besoin , revoyez Il était une fois dans l'Ouest, de Sergio Leone, 1967).




Qui plus est, cette BD est tout à fait sympathique, avec son dessin vivant et expressif, et son format originale (format de poche, à l'italienne). Donc, même si vous ne vous en servez pas pour du JdR, vous passerez un bon moment de lecture.

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mardi 27 juillet 2010

Cheminement créatif (2) : de l'idée de l'écriture à la mise en œuvre du chantier

L'idée d'écrire un scénario Prohibition s'était finalement imposée à moi, après les tergiversations exposées dans le précédent billet. Le moment où je sens que je pourrais concrétiser quelque chose est celui où l’idée du fil rouge du scénario se fait précise. En l’occurrence, après avoir merdoyé avec des idées autour de Beaumarchais (pour une ambiance XVIIIe siècle) puis autour d’un marchand aztèque sans arriver à ce que quelque chose prenne corps, l’étincelle s’est faite dans la conjonction de trois idées :
- l’ambiance Prohibition, boîtes de jazz, du film Cotton Club, de Francis Ford Coppola, que je venais de revoir ;
- l’ambiance Prohibition, politiciens et flics pourris, tout en tons de gris, du film Miller’s Crossing, de Joel Coen, que je venais de revoir également ;
- le souvenir de ma lecture du roman Une place vraiment rouge, d’Edward Topol et Fridrich Neznansky, roman qui se déroule dans la Russie de Brejnev, avec apparatchiks corrompus, faux suicides, etc.

Premières orientations concrètes
Je voulais une ambiance plutôt « polar », parce que c'est un genre littéraire dans lequel je me sens à l'aise. Et j'avais envie de mettre les PJ devant une enquête un peu embrouillée.
Si j'aime beaucoup la version des Incorruptibles par Brian de Palma, ce n'est pas ce que j'avais en tête pour ce scénario Prohibition. Je voulais quelque chose qui ne soit pas « fédéraux contre brigands », mais plutôt « fédéraux entre vrais pourris et pas-aussi-pourris-qu'on-croit ».
Miller's Crossing était beaucoup plus proche de ce que je recherchais. J'en ai tiré surtout des idées pour l'opposition entre les deux clans « maffieux » de mon scénario, les Italiens et les Irlandais, opposition très bien documentée, par ailleurs, dans les ouvrages sur l'histoire de la Prohibition à Chicago.


J'avais également envie d'offrir une partie de scénario qui mette en valeur les boîtes de nuit et la musique de cette époque. Comme source d'inspiration d'ambiance, Cotton Club était une évidence pour moi :
- j'aime beaucoup la plupart des œuvres cinématographiques de Coppola, ce film-là en particulier, qui mêle Blancs et Noirs, le clinquant et le sordide, qui met en scène des personnages de l'époque ;
- j'adore le jazz de cette époque et, dans la BO du film, je suis très touché par Creole Love Call de Duke Ellington (on peut en découvrir un extrait à partir de cette page-là).



Dans ce scénario, je voulais aussi que mon « commerçant extraordinaire », qui était le thème du concours et qui devait donc être la colonne vertébrale de l'aventure, ne soit pas aussi noir que certains l'avaient montré aux Fédéraux. Le roman Une place vraiment rouge, d’Edward Topol et Fridrich Neznansky, m'est alors, lui aussi, apparu comme une évidence. Il fait partie des meilleurs thrillers qu'il m'ait été donné de lire - et je m'en suis avalé des wagons, depuis que j'ai commencé à en lire. Ce roman met en scène une enquête très délicate sur le « suicide » de Tsvigoun, beau-frère de Brejnev, suite à une opération anti-corruption. J'en ai utilisé une bonne partie de la trame, notamment le meurtre déguisé en suicide et les cambrioleurs-témoins.



Mon idée très basique (un politicien accusé d'être véreux et éliminé par les vrais véreux) m'a donc orienté vers ces deux films et ce roman de manière naturelle, par rapport à mon imprégnation cinématographique et littéraire.
Au final, je tenais mon fil rouge : mon « commerçant extraordinaire » serait un commerçant faussement accusé de corruption, souhaitant une opération « mains propres » à Chicago, mais « suicidé » par ses adversaires politiques. « L’impasse mexicaine », élément anecdotique dans le scénario, verrait flics et gangsters face à face, mitraillettes Thompson en main.

La trame en diagrammes
Peut-être par déformation professionnelle, j’ai une approche plutôt analytique d’un scénario :

- j’aime bien arriver à établir un organigramme représentant les différents PNJ (majeurs ou secondaires) et les relations tissées entre eux telles qu’elles interviennent dans le scénario (subordination, souhait de vengeance, complicité, etc.). Cela me donne une idée synthétique des forces en présence, et des appuis ou écueils pour les PJ. C'est ce que j'ai exposé dans les différents billets expliquant ma méthode organisationnelle. Il est rare que j'ajoute un PNJ principal à mon schéma/organigramme une fois que je me suis lancé dans l'écriture ; mon schéma, c'est un peu mon « bon à écrire », comme quand on donne un « bon à tirer » à un imprimeur : c'est la trame sur laquelle je m'accorde avec moi-même, et je n'en retouche pas les éléments primordiaux. Néanmoins, certains PNJ secondaires peuvent apparaître, parfois par simple plaisir de divertissement ;

- je dresse aussi un premier schéma des grandes parties du scénario : l’ouverture (avec l’entrée en jeu des PJ), le corps de l’aventure, divisé en « actes » (éventuellement subdivisés en « scènes ») et la conclusion (qui peut être, en fait, une ouverture sur des aventures à venir). Ce schéma me permet de voir si certaines parties du scénario doivent être jouées dans un ordre obligatoire ou pas.
Je fais cela à la main, parfois avec des couleurs pour des PNJ majeurs ou des scènes importantes. Il me faut généralement plusieurs versions successives, pour arriver à rationaliser la position des éléments des diagrammes et éviter les flèches qui se croisent dans tous les sens. Si je n’arrive pas à établir ces diagrammes, je sais que mes idées éparses n’arriveront pas à s’assembler en un scénario. Ces deux diagrammes ne sont pas strictement figés, et ils évoluent au fur et à mesure que j’avance dans l’écriture (nouveaux PNJ, nouvelles scènes), mais sans bouleverser le fil conducteur de l’aventure. Dans cette étape, mes PNJ n’ont pas de noms, mais des désignations par leur rôle : « le chef », « les gros bras », « le traître », « le flic pourri », etc.

Ceci constitue donc le squelette du scénario, et ce sont les phases de travail suivantes qui donneront de la chair au scénario, et la saveur particulière à l’univers de jeu que j’aurais retenu.

Présentation du scénario
A ce stade, je suis généralement capable d’écrire une courte présentation du scénario (5-6 lignes), que j’appelle le plus souvent « l’histoire en quelques mots ». En relisant le texte que j’ai publié dans le forum, je m'étais rendu compte que, pour une fois, je n’avais justement pas écrit ce paragraphe-là. Voici ce que j’aurais pu en écrire :
Chicago, en pleine Prohibition. Agents fédéraux du Trésor, les PJ arrivent en ville pour enquêter sur un élu municipal soupçonné de tremper dans des affaires de corruption. Cet élu disparaît pendant une course-poursuite, et les PJ, enquêtant auprès de son épouse et de ses maîtresses anciennes et nouvelles, finissent par le retrouver faussement « suicidé ». Poursuivant leur enquête, sur fond de corruption de flics et politiciens et de lutte acharnée des gangsters irlandais contre gangsters italiens, les PJ pourront mettre à jour que le plus véreux n’était pas celui que l’on croyait.

Mettre la chair sur le squelette
Pour que la trame squelettique donne naissance à un corps, il me fallait de la chair, de la matière vivante. Il me fallait aussi, par envie personnelle, de « vrais » gangsters, de « vrais » clubs de jazz. Un livre sur Chicago au temps de la Prohibition et des moteurs de recherche sur internet m’ont apporté ces éléments.
C’est à cette étape-là que mes PNJ, entre autres, ont pris des noms. Dans mon diagramme, « politicien soupçonné » est devenu « John Harriman, politicien soupçonné », « sa nouvelle maîtresse » devient « Missy Prober, sa nouvelle maîtresse », etc.
Ma présentation de ma méthode peut laisser entendre que je boucle d'abord toute ma trame, puis que je recherche la chair dans un deuxième temps. Ce n'est pas tout à fait exact. J'essaie, en effet, de me prémunir contre une éventuelle mauvaise surprise, comme de découvrir dans une lecture que tel passage de mon scénario est entièrement anachronique, contraire aux pratiques de l'univers en question, etc.
Mon analyse de ma trame, même quand je l'appelle encore « squelettique », tient compte de ces « vérifications » qui me servent à voir si ma trame tient debout ou pas, voire à la retravailler si quelque chose coince.
En général, je ne m'attaque donc à l'écriture d'un scénario de JDR que si j'ai une certaine imprégnation préalable de l'univers du jeu (pour le polar, le western, les ambiances de cape et d'épée, j'ai trente ans d'imprégnation, ça compte). Ce qui fait que je suis à l'aise dans pas mal d'univers « historiques » (je suis un peu comme chez moi dans la Venise du 18ème siècle, le Madrid du Capitan Alatriste, le Paris des mousquetaires, le Tombstone des frères Earp ; je suis un peu comme chez des amis dans certaines périodes de la Rome antique, etc.) mais en pays étranger dans d'autres univers historiques (je suis à peu près perdu dans le victorien, par exemple) et dans la plupart des univers fantastiques ou futuristes.
Écrire pour un univers dont je suis imprégné est assez facile, car je pense ne pas commettre d'erreurs majeures de plausibilité. Écrire pour un univers dont je ne suis pas imprégné est un tout autre exercice.

L’écriture au fil de l’eau
Une fois que j’ai mon squelette et ma chair, l’écriture est surtout une question d’assemblage, de développement. J’écris en gardant mes diagrammes pas trop loin de moi, pour m’y référer en cas de besoin. Pour un scénario du format de ceux que j’écris pour les concours de la Cour, cette partie-là est en général la plus rapide de tout le processus.
Le texte que j'ai présenté au concours est lisible à cet endroit-là.
C'est un texte intermédiaire entre un synopsis et un scénario pleinement développé (il n'y a pas, par exemple, de galerie de PNJ). Mais il me semble que ça peut être illustratif de ce à quoi l'on peut aboutir après un cheminement tel que celui que j'ai exposé dans ces deux billets successifs.

N'hésitez pas à me poser des questions, par les commentaires, si certains points vous semblent obscurs, ou bancals, dans ma présentation, ou si vous avez des façons de faire totalement contraires aux miennes !

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Cheminement créatif (1) : de l'exposé d'un thème de concours de scénario à l'idée de l'écriture



Au printemps 2008, une discussion avait été ouverte dans le forum de la Cour d'Obéron, en débriefing d'un de nos habituels concours de scénarios. Il s'agissait, pour les participants à ces concours qui le voulaient bien, d'exposer les cheminements respectifs qui le conduisaient des premières idées sur un scénario jusqu'au produit final.
J'avais profité de cette discussion pour exposer les cogitations qui avaient présidé à l'écriture de mon scénario 18e amendement, un scénario générique dans une ambiance de l'époque de la Prohibition. Et je vais recycler ici une partie de cette présentation, en espérant que cet exposé d'un cas particulier pourra trouver un écho dans l'intérêt des lecteurs de ce blog.
C’est un exemple d’écriture d’un scénario avec contrainte de cadre - le thème et l’élément -, mais sans autres contraintes lourdes. Dans les concours de la Cour, il n’y a pas d’obligation d’écrire pour tel jeu ou tel autre, pas de limite formelle sur le nombre de signes, pas d’obligation de donner les caractéristiques chiffrées des PNJ, etc.
C'est donc un exercice assez différent de ce que peut être, par exemple, l'écriture d'un scénario de commande pour un jeu particulier pour un magazine ou un zine de JdR, ou pour un concours plus formel dont les scénarios sont destinés à être publiés, souvent avec une contrainte forte sur le nombre de signes.

L'art du recyclage
Comme vous l'aurez sûrement remarqué en lisant ce blog, je crée très rarement un scénario à partir d'idées fortes personnelles. Je suis plutôt un « recycleur », je m'inspire directement de choses créées par d'autres et qui m'ont séduit : la trame d'un polar, les décors d'un film, un personnage incarné par un acteur, un fait divers etc. Parfois je recycle une seule œuvre pour un scénario, parfois j'en mêle plusieurs, avec plus ou moins de bonheur.

Les jalons de calendrier
J'avais écrit ce scénario pour le 18e concours de scénario de la Cour, qui avait été ouvert en juillet 2007 sur le thème « un commerçant extraordinaire » et devait inclure l'élément « une impasse mexicaine ». J’ai déposé mon scénario dans le forum le 24 septembre 2007, soit deux mois et demi plus tard. Ce temps d'écriture, relativement long pour un scénario de ce format (il m’arrive d’écrire bien plus vite que cela, pour des textes de la longueur de mes scénarios des concours de la Cour), a été principalement dû au fait que j’ai mis du temps à trouver un univers de JdR dans lequel m’ancrer pour l'écrire.

Premiers contacts avec le thème et l’élément

Pour ce concours, le thème m’a rapidement inspiré, j’imaginais ce « commerçant extraordinaire » comme quelqu’un faisant des affaires en achetant/vendant des biens ou des services sortant de l’ordinaire.
Pour l’élément, j’ai patiné un peu plus longtemps, m’étant un peu trop enfermé dans le côté cinématographique de « l’impasse mexicaine », le genre de situation de blocage où il ne peut y avoir ni gagnant ni perdant, voire le risque d’une annihilation mutuelle.


Tergiversations sur le choix de l’univers du jeu
Pour la plupart des concours de la Cour, le thème m’oriente assez vite vers un univers rôlistique préférentiel, compte tenu du fait que mes goûts en matière de JdR sont assez étroits.
Pour ce 18ème concours, en revanche, ça n’a pas été le cas, et je suis longuement resté indécis, allant vers ceci, puis vers cela, revenant en arrière, repartant dans une autre direction.

J'avais vraiment envie, au départ, du clin d'œil entre « 18ème concours » et « 18ème siècle ». Et Beaumarchais s'est tout de suite imposé comme mon « commerçant extraordinaire ». Mais je n'avais pas à trouver une façon satisfaisante de placer l'élément « impasse mexicaine ». Cela peut paraître saugrenu, vu que l'élément est finalement un point anecdotique, cependant, ça m'a réellement coincé.
J'ai donc passé en revue mes autres ambiances de prédilection en me demandant ce qui pouvait bien coller avec mon clin d'œil à « 18 ». L'époque de la Prohibition et son 18ème amendement ont finalement remplacé, pour ce concours, ma fixation pour le 18ème siècle.

Mes messages dans le forum ont été révélateurs de ces passage du coq à l'âne, avancées et retours en arrière :


(11juil07) Je compte bien en être.
Je n'ai pas encore d'idée spécifique, mais je tenterai peut-être de participer à ce XVIIIe concours avec un scénario XVIIIe siècle (je n'ai jamais pratiqué Berlin XVIII, je ne pourrai donc pas utiliser ce clin d’œil).

(08aou07) De mon côté, j'affine un peu mes idées premières. Je pense pouvoir écrire un scénario autour de Beaumarchais et de son entreprise « Roderigue Hortalez et Cie », destinée à camoufler les débuts de l'aide française aux Insurgents américains.

(14sept07) J'ai un peu changé mon fusil d'épaule, vu que je reste bloqué sans avancer dans ma première direction dix-huitiémiste, et j'ai une idée plutôt aztèque (la faute à « mexicaine » qui m'a fait penser aux Mexica).


(18sept07) Finalement, j'ai repris ma plume d'oie plutôt que de colibri, et j'avance sur un scénario dix-huitièmiste.
C'était un nouvel épisode de « Xaramis se gratte la tête pour participer au 18ème concours ».

(24sept07) Voilà, j'ai déposé mon scénario dans le fil de recueil.
Comme il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, j'ai finalement écrit un scénario dans une ambiance Chicago pendant la Prohibition, en utilisant le clin d’œil « 18ème concours / 18ème amendement ».
Sortez les costumes rayés, les Thompson à chargeur camembert, vos plaques d'agents fédéraux, et en avant la musique (jazz, bien sûr) !


A suivre...

lundi 26 juillet 2010

L'habit ne fait pas le moine, mais le moine fait le larron

C'est parfois dans les vieux pots qu'on élabore de bonnes soupes. Tout au moins, c'est ce que veut le dicton. De là à penser que c'est une règle absolue, il y a un pas que je ne saurais franchir. Pour les JdR, c'est un peu la même chose : certaines vieilles ficelles peuvent servir à tisser une bonne aventure. À condition que les joueurs soient de ceux qui acceptent de jouer ainsi avec les vieilles ficelles, soit parce qu'ils sont encore « novices » (sans que ce qualificatif soit péjoratif envers eux) et que ces ficelles ne sont pas si vieilles que ça à leurs yeux, soit parce que ce sont de vieux briscards qui aiment bien renouer de temps en temps avec des classiques.

Le roman L'énigme du dragon tempête d'I. J. Parker (édition originale : The Dragon Scroll, 2005 ; version française aux éditions Belfond 10/18, collection Grands détectives, 2006, ISBN 978-2-264-04544-7) est l'exemple typique de l'ouvrage d'inspiration « vieilles ficelles », tant par son intrigue que par ses personnages.
En lui-même, ce roman policier n'a rien de transcendant. Il est même, selon une expression que j'aime employer dans ces cas-là, « mou du genou ».
La critique publiée par « Débézed » sur le site de Critiques libres est très proche de mon propre ressenti, en particulier sur ce point-là : « cette longue enquête, un rien filandreuse, un peu simpliste et très manichéenne, manque de densité et d’acuité et finit par lasser avant son dénouement trop prévisible qui n’en finit pas de finir ». Et, promis, ce n'est pas moi qui l'ai écrite sous un autre pseudonyme !

Mais ce n'est pas pour autant que cela ne peut pas servir de prétexte à une bonne histoire de JdR.

Le cadre du roman est celui du Japon du XIe siècle, celui d'une ère Heian encore très empreinte de culture et d'organisation politique chinoises, un Japon loin de celui que les rôlistes connaissent (ou croient connaître) et qui est plutôt celui du XVIe siècle, avec ses daimyo et ses samurai. Et dans une province de ce Japon ancien, voilà que des chargements d'or destinés à payer les impôts de la province à la capitale se sont volatilisés en chemin.

Voilà une ligne de départ fort pratique pour une aventure rôlistique. Mettons, sur cette ligne de départ, un jeune aristocrate au service de la Justice du pays, un accompagnateur âgé et fidèle, et un semi-déserteur effronté aux talents pas toujours licites mais toujours utiles. Plongeons ce trio dans une toile d'araignée de vrais indices et de fausses pistes, dans le sac de nœuds sur lesquels tirent une galerie de personnages un peu caricaturaux : les hauts fonctionnaires véreux (ou pas), les officiers loyaux (ou pas), les brigands à la face couturée de cicatrices, les marchands sans défense rackettés par la racaille urbaine et les bandits de grand chemin, la jolie jeune fille au talent d'artiste, et la jeune veuve pas si éplorée que cela. Sans compter de drôles de moines dont on se demande assez vite d'où leur vient la fortune qui permet un tel développement de leur monastère.
Si vous pensez que les moines ont acquis leurs richesses en mettant la main sur les convois des impôts... vous avez peut-être raison... Et si vous pensez qu'ils ont été aidés par des complices dans l'entourage autour du gouverneur de la province, vous ne faites peut-être pas fausse route.

Voilà donc les éléments centraux et anecdotiques d'une aventure rôlistique classique, avec disparition, enquête, et révélation du pot-aux-roses. Il n'est pas nécessaire de jouer dans un univers « japonais antique » pour en profiter au mieux. Toute transposition à un univers médiéval-fantastique ou historico-fantastique pourra en tirer parti, tant que le niveau technologique et magique n'est pas trop élevé.
Bref, une base de scénario pour une aventure d'enquête et d'action sans grande prétention, dans laquelle les PJ pourront cheminer sans risquer de se perdre totalement dans une intrigue à tiroirs trop complexe.


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samedi 10 avril 2010

Simple et efficace

La façon la plus directe d'obtenir un scénario de JdR en adaptant une œuvre préexistante est de partir directement... d'un scénario de JdR. Je sais, ceci confine à la tautologie, mais le MJ en mal d'inspiration ne s'arrêtera probablement à si peu. Et s'il est un scénario dont j'ai usé encore et encore, en l'adaptant à différentes sauces, c'est bien Une fleur pour une vie, écrit par Frédéric Mabrut pour Légendes de la table ronde et publié dans Casus Belli ancienne formule n°47 (septembre 1988).
C'est, à mes yeux, un scénario particulièrement adapté à des parties d'initiation au jeu de rôles, mais il peut fonctionner tout aussi bien avec des joueurs déjà aguerris. Sa force ? Un scénario peu complexe dans son intrigue, mais proposant des situations de jeu variées et riches, avec un choix cornélien en point final de l'aventure.
L'intrigue est simple : les PJ doivent partir à la recherche d'un remède pour contrer la maladie qui frappe l'épouse de leur seigneur. La maladie est étrange, et le remède ne l'est pas moins (une fleur particulière et unique, d'où le titre du scénario). L'identification de la maladie puis la quête du remède confrontent les PJ à divers obstacles, naturels et humains (voire inhumains). Dans la scène finale, au moment de s'emparer de la fleur de guérison, les PJ doivent affronter un autre groupe d'« aventuriers », venus eux aussi chercher la fleur pour sauver un être cher.
Un MJ n'aura aucun mal à faire progresser une aventure sur cette piste, que ce soit en s'en tenant au scénario original ou en adaptant celui-ci à ses besoins propres, en modulant l'opposition aux PJ, en ajoutant, retirant ou modifiant certaines scènes, etc.

Pour corser un peu le final, il m'arrive donner un caractère particulier à la scène finale : les PJ sont là pour trouver le remède qui sauvera la « vieille » épouse de leur seigneur, tandis que ceux de « l'autre camp » sont là pour sauver une personne bien plus « jeune ». J'essaie donc de confronter les PJ (et, à travers eux, les joueurs) à un dilemme plus aigu : vont-ils mener à bien leur mission, par loyauté à leur seigneur, et sauver une « vieille » femme qui a déjà bien vécu sa vie et, par là-même, condamner à une mort très probable la jeune personne, qui a sa vie devant elle, mais envers laquelle ils n'ont pas d'obligation de loyauté ? Ou bien feront-ils passer la générosité, la compassion, avant la loyauté ?
Ce questionnement n'a pas du tout le même poids selon l'univers dans lequel se déroule le jeu. Dans un univers où les relations que je qualifierais globalement de « féodales » (à la façon « occidentale », « orientale » ou « 100% fantasy », peu importe) sont particulièrement puissantes, ne pas respecter la loyauté, l'obéissance, est un acte fort, peut-être même impossible à réaliser. Pourtant, même dans un univers comme celui-là, il me semble intéressant de mettre les PJ devant ce genre de question.

Ce scénario Une fleur pour une vie se prête facilement aux adaptations pour des univers « fantastiques » ; le remède peut alors ne pas être « naturel » et une partie de l'opposition composée de créatures surnaturelles (fées, géant, etc.) comme dans le texte originel. Je m'en suis servi pour des parties de eux très divers, d'Avant Charlemagne à Aquelarre, de Gurps Aztecs à Lanfeust de Troy et bien d'autres encore.
Cependant, une adaptation à des univers dont le surnaturel est absent est tout à fait possible, elle aussi. Ce qui peut limiter l'adaptation à un univers, c'est bien sûr la capacité à placer la barre assez haut pour le degré d' « étrangeté » de la maladie et, par conséquent, pour celui du remède. Je ne sais donc pas trop comment le scénario peut fonctionner avec des jeux dont l'univers en ancré dans un niveau technologie (NT) très élevé, comme Transhuman Space. À vous de vous faire une idée de cette possibilité ou pas.
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Je me suis très récemment lancé sur la piste de l'auteur du scénario, pour solliciter, si j'arrive à prendre contact avec lui, l'autorisation de donner une nouvelle vie à ce scénario en le publiant sous forme électronique. Affaire à suivre.

L'adaptation littéraire vu par l'angle du cinéma


Adapter un œuvre en scénario de JdR et l'adapter en scénario de film sont deux exercices totalement différents, j'en conviens. Et pourtant, il me semble que certains conseils relatifs au cinéma peuvent nourrir notre réflexion de rôlistes. Sans passer par des livres spécialisés, il est possible de trouver quelques conseils sur le net ou, à tout le moins, de trouver quelques pistes pour lancer des réflexions.
C'est ainsi que je me suis intéressé à l'article « Comment écrire une adaptation littéraire » du blog Scénario Buzz.

Je vous laisse le soin (et le plaisir) de le lire en entier, et je vais me contenter d'en souligner les points qui ont le plus attiré mon attention (en dehors des questions de droits, ceux de l'auteur ou ceux de ses ayants droit).
Pour Nathalie Lenoir, une adaptation d'un roman en scénario se révèle plus difficile que d'écrire un scénario original. Je me trompe peut-être, mais il me semble que c'est moins vrai pour le JdR que pour le cinéma ; néanmoins, je reconnais que les écueils soulignés dans l'article sont les mêmes pour le scénario de film que pour le scénariste rôliste : la longueur du roman, les émotions et introspections des personnages, la multiplicité éventuelle des points de vue, le rythme du récit pas toujours chronologique. Bref, certains éléments qui font la qualité d'un roman le rendent ardu à transposer en scénario.
Mais l'article, indique clairement ce qui doit être cherché dans un livre pour en faire le squelette d'un scénario : un protagoniste, une intrigue, du conflit et un thème. En trois petits paragraphes, elle nous livre l'essentiel de l'exercice :
La méthode la plus simple est sans doute de commencer par résumer brièvement chaque chapitre (deux ou trois phrases maximum). A partir de là, on peut rédiger un résumé global de l’histoire, dégager le thème, la prémisse de l’histoire. A ce stade, on voit immédiatement s’il existe une intrigue et surtout, si elle est assez dramaturgique.
Petit rappel : un scénario met en scène un protagoniste qui, à partir d’une situation de base (exposition) va vivre un événement fort (incident déclencheur), qui le pousse à déterminer un but (objectif). Le personnage va alors tout mettre en œuvre pour atteindre cet objectif, malgré les nombreux obstacles, de plus en plus forts, qui jalonnent son parcours. Cette quête le mène jusqu’à un point de conflit extrême (climax). On sait alors s’il a ou non atteint son objectif (réponse dramatique) et quelles vont être les conséquences de sa quête sur son existence (résolution).
Si l’intrigue, la matière du roman, ne peut être résumée à ce petit schéma, ou s’il lui manque certains de ces éléments, il va falloir les créer de toute pièce.
Et surtout, Nathalie Lenoir encourage à savoir s'éloigner du roman que l'on veut adapter, pour ne pas en rester prisonnier, n'en gardant que les éléments les plus essentiels et « inventer les éléments manquants ».
Au final, cet article n'est donc pas un guide méthodologique pour adapter une œuvre en scénario, mais il permet de commencer à se poser les questions de fond.
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Pour l'anecdote, les rôlistes amateurs d'heroic fantasy apprécieront ou s'indigneront à la lecture du dernier paragraphe de l'article :
Le travail d’adaptation est long est souvent ingrat mais c’est un domaine qui réserve de belles surprises, par exemple, lorsqu’un auteur très peu connu, un certain Peter Jackson, s’attaque à une œuvre réputée inadaptable, un monument de la littérature de plus de mille pages, « Le seigneur des anneaux ».
Connaissant la hargne féroce des tolkienomanes (dont je ne suis pas) contre tous ceux qui ne respectent pas à la lettre l'œuvre du Maître, je n'ai aucune doute que ça ne va pas laisser certains indifférents...

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samedi 27 mars 2010

Jeux connus ou méconnus : je vous aiguille vers le GROG

Dans la plupart de mes billets, je cite des jeux de rôles auxquels le roman, le film, la BD, dont je traite peut être plus ou moins facilement adapté(e). Mes goûts en matière de jeu de rôles étant étroits et les jeux auxquels je pense en premier lieu pour une adaptation n'étant pas toujours des plus récent, il m'arrive de citer des jeux peu courus et, j'en suis bien conscients, probablement pas du tout pratiqués aujourd'hui. Néanmoins, je continuerai à citer des jeux méconnus ou peu utilisés, tout en faisant un effort pour aiguiller les lecteurs vers des jeux plus récents qui utilisent le même genre d'univers.
Pour faciliter l'information des lecteurs sur les jeux, connus ou moins connus, cités dans mes billets, sans me sentir obligé d'en donner ici des présentations détaillées, je donnerai, pour chaque jeu cité, le lien vers sa fiche sur le site du GROG (pour autant que le jeu soit fiché). Et je vais, de ce pas, compléter les billets déjà publiés pour apporter ces compléments d'information.

Pour le cas où le jeu ne serait pas fiché sur le GROG, j'essaierai de donner un lien vers une page offrant tout de même une présentation du jeu, mais sans assurer que ladite page sera francophone (j'en présente par avance mes excuses aux lecteurs de ce blog qui ne seraient ni anglophones ni hispanophones).

Chasse au trésor

Difficile de prétendre que la chasse au trésor n'est pas un des passe-temps favoris des personnages de jeu de rôles, qu'il faille assembler les bouts de la carte dressée de la main même du plus fameux pirates des sept mers (les pirates sont célèbres pour leur audace, leur cruauté, et leur faible mémoire), qu'il faille interpréter les indices d'énigmes pluriséculaires ayant résisté jusque là aux esprits les plus éclairés (fort heureusement, les PJ arrivent et vont « craquer » ces codes !) avant de trouver la cache au trésor, ou qu'il faille arracher le coffre plein de pierres précieuses au dragon immortel (enfin, immortel jusqu'à ce qu'un PJ le tue de son épée tueuse de dragon) qui le garde depuis que le monde est monde.

Et c'est à ce classique ressort d'aventure que je vais consacrer ce billet-ci. L'inspiration de cette chasse au trésor est un roman d'aventures maritimes à l'époque napoléonienne, mais elle est facilement adaptable à des univers très variés et c'est ce qui m'a guidé dans ma décision de retenir ce roman plutôt qu'un autre. Trésor de guerre (Hornblower and the Atropos, 1953) est né de la plume de C. S. Forester et fait partie de la série dans laquelle cet auteur met en scène Horatio Hornblower, que le lecteur voit évoluer, au fil des romans [*], d'aspirant de marine à contre-amiral de la Royal Navy.
La première partie de ce Trésor de guerre ne colle pas trop au titre en français, puisqu'il s'agit de l'organisation et de la tenue des funérailles de lord Nelson, tué à la bataille de Trafalgar (1805). Je ne prétends que ça ne puisse pas servir d'inspiration pour un épisode de JdR, mais je vais plutôt m'attarder sur la suite du roman qui, elle, est pleinement inscrite dans le registre « chasse au trésor ». Hornblower, à qui la Royal Navy a confié le commandement du HMS Atropos, un sloop de guerre de 22 canons, reçoit des ordres qui vont lui faire vivre une aventure bien plus palpitante que celle de conduire Nelson à sa dernière demeure. Il doit en effet se rendre sur la côte sud-ouest de la Turquie, dans la baie de Marmaris : un navire anglais qui transportait une fortune en or et argent (notamment pour la solde de l'armée britannique en Égypte) a fait naufrage dans la baie de Marmaris, et il faut absolument récupérer la cargaison dans l'épave avant que les Turcs ne mettent eux-mêmes la main dessus.



Divers éléments de l'aventure font qu'elle se prête bien à une adaptation en JdR, soit dans un univers comparable à celui du roman (un univers rôlistique « historique » du temps de la marine à voile), soit dans un univers complètement différent, qu'il soit médiéval fantastique, contemporain ou encore de science-fiction :
  • je l'ai écrit en préambule, la chasse au trésor est un ressort qui « marche » bien dans le JdR ;
  • si les indications sur le site du naufrage sont imprécises, voire inexactes (par exemple parce que les souvenirs des rares survivants du naufrage sont flous ou contradictoires), la phase de recherche peut stimuler l'imagination et l'inventivité des PJ (et donc celle des joueurs) ;
  • comme le trésor est englouti, il faut déployer des moyens permettant d'intervenir sous l'eau. Dans le roman, il est fait usage de plongeurs cinghalais, spécialistes de la pêche des perles (décidément bien loin de leurs eaux tropicales, sur cette côte turque). Mais bien d'autres pistes peuvent être envisagées, suivant l'univers d'adaptation, comme des cloches de plongée, des mini-sous-marins, voire des moyens magiques ;
  • pour ceux qui seraient allergiques à l'eau, ce « trésor englouti » peut être remplacé par un « trésor perdu en milieu hostile ». L'engin sous-marin peut alors laisser la place au scaphandre spatial, à la combinaison NBC, etc. ;
  • les rivalités à bord du navire pimentent le voyage qui, sans cela, pourrait sombrer l'ennui, qui est le risque majeur des longs déplacements maritimes (ou spatiaux) en JdR ;
  • les habitants de la côte devant laquelle la recherche et la fouille de l'épave engloutie ont lieu vont rapidement se demander à quoi rime cette agitation (il est difficile de rester discret, dans de telles opérations). L'opération de récupération du « trésor » est donc une course contre la montre, pour ne pas se retrouver en infériorité numérique face aux « locaux » qui peuvent avoir rameuté les autorités, des troupes, etc. ;
  • l'aventure propose des scènes qui relèvent d'ambiances variées, de la diplomatie au combat naval, en passant par la mise en œuvre de l'ingéniosité technique.

Le jeu de rôles dont l'esprit est le plus proche de celui de ce roman Trésor de guerre est Privateers and Gentlemen, puisque ce jeu était directement destiné à incarner des officiers de la marine (les gentlemen) ou des corsaires (les privateers) du temps de l'âge d'or de la marine à voile, et donc particulièrement à l'époque napoléonienne. Mais force est de reconnaître que ce jeu, remontant à 1982, est plutôt relégué, aujourd'hui, au rang des curiosités. Toutefois, un jeu actuel comme Pavillon Noir se prête sans souci à une adaptation à peu près directe, en déplaçant l'intrigue dans le temps (le cœur de la période de Pavillon Noir est le début du XVIIIe siècle). D'autres jeux où la composante navale est présente s'y prêtent aussi dans les jeux d'aujourd'hui (Pirates of the Spanish Main, par exemple) ou dans les jeux plus anciens (Run out the guns, Piratas, etc.).
Cependant, la trame est suffisamment générique pour être réutilisée dans des univers très différents, et donc pour des jeux très différents. Pour ma part, je l'ai assez souvent adaptée, de la Rome antique (avec Gurps Imperial Rome) aux lointains horizons de l'amas de Gion (avec Empire Galactique), en passant par la mer Rouge des récits de Henri de Monfreid (avec Daredevils en son temps ou Arkeos plus récemment), la guerre de Sécession américaine (avec Gurps Western), le Vieux Monde (Warhammer) et d'autres encore.

Quand la recette est bonne, autant ne pas se priver de l'adapter aux ingrédients dont on dispose et aux invités à qui on va la servir.

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[*] L'ordre de parution des romans de la série Hornblower, écrits de 1937 à 1967, ne correspond pas à un ordre chronologique des aventures de ce héros. Toutefois, certains recueils de parution plus récente (en particulier dans les traductions françaises) présentent les aventures dans l'ordre chronologie de la vie de Hornblower.

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mercredi 17 mars 2010

L'anatomie de l'histoire

Je n'ai jamais vraiment potassé la théorie de l'écriture de scénarios, en termes de structure (en actes/scènes ou pas), en termes d'arc de récit, etc.

Mais en feuilletant le blog d'Éric Nieudan, que je « connais » par son travail sur le jeu de rôle Lanfeust de Troy et pour l'avoir croisé quelques minutes lors d'un Monde du jeu à Paris il y a une demi-douzaine d'années, je suis tombé sur un article où il parle du roman Les piliers de la Terre de Ken Follett et dans lequel il fait une allusion à Robert McKee avec un lien qui m'a conduit vers un autre blog où j'ai vu des références à John Truby et à son livre The anatomy of story (plusieurs éditions ; par exemple Faber & Faber, 2008, ISBN 978-0865479937). Or il se trouve que j'ai récemment aperçu en librairie le livre Anatomie du scénario (Nouveau Monde Editions, 2010, ISBN 978-2847364903), de ce même John Trudy, et dont je pense qu'il s'agit de la version française de The anatomy of story.

J'ai tendance à me méfier d'une présentation de livre quand elle est directement due à la plume de l'éditeur du livre en question. Mais celle-ci attire tout de même ma curiosité :


Parmi les nombreux essais et manuels d'écriture, L'Anatomie du scénario est une référence incontournable pour les scénaristes débutants et confirmés. John Truby entend mettre fin au dogme de la structure en trois actes qu'il juge artificielle. Il préconise les intrigues à multiples facettes, les réseaux de personnages et le mélange des genres. Il invite à tordre les règles qui régissent l'écriture de scénarios afin d'écrire des histoires originales qui doivent être abordées comme des organismes vivants, aussi changeants et complexes que ceux qui les imaginent. Les préceptes développés dans ce livre complètent plus qu'ils ne concurrencent les ouvrages d'autres théoriciens de la dramaturgie. Ils exposent les bases d'une formation continue aussi populaire en France qu'aux États-Unis où elle a été mise en place il y a trente ans. Cette Anatomie du scénario est issue d'un long travail d'analyse de centaines de films, de pièces de théâtre, de nouvelles et de romans, allant d'Ulysse de Joyce à La Guerre des étoiles en passant par Tootsie. Concret, pratique sans être simpliste, cet ouvrage s'impose comme la bible du scénariste.

Si quelque lectrice ou lecteur a déjà mis son nez dans The anatomy of story ou dans L'anatomie du scénario, je suis preneur de tout retour. A votre bon cœur, M'sieursdames. De toute manière, il n'est pas impossible du tout que je finisse par acheter l'un ou l'autre.

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dimanche 14 mars 2010

Inspirations croisées : "roman + BD = scénario"

Mi-2009, à l'occasion d'un appel à texte pour le webzine de la Voix de Rokugan, consacré au jeu Le livre des 5 anneaux, je m'engage à fournir un texte pour le numéro thématique sur le cheval.


Je n'ai pas d'idée très établie, en me proposant d'écrire un scénario, mais je trouve intéressant de me creuser un peu la tête pour tisser une aventure autour du cheval dans un monde où cet animal n'est quand même pas au cœur des préoccupations, à part pour un clan comme celui de la Licorne où il est, tout au contraire, un élément central.
Bon, me voilà donc avec le thème « cheval » sous la main, et un univers « japonisant » dont je ne suis pas un grand spécialiste. Il ne me reste plus qu'à trouver, dans mes souvenirs de lecture ou de cinéma, des éléments qui pourraient servir de squelette sur lequel apporter une chair « rokugani » pour aboutir à un scénario destiné à publication.
Le roman de P. F. Chisholm Les sept cavaliers, dont j'ai déjà parlé, s'impose alors à moi comme une première évidence, puisqu'un des axes du roman est constitué par le cheval, élément stratégique de la vie de ces Borders Reivers, de leurs luttes locales et plus lointaines. Pourtant, je n'arrive pas à voir comment transposer l'intégralité des trois axes du roman (le clan raflant tous les chevaux de la région pour mener un raid en profondeur, le meurtre du fils du chef du clan dans une affaire d'amours contrariées, et la déliquescence d'un poste-frontière sous l'influence de la corruption) dans un scénario rokugani. C'est surtout cet aspect du projet de raid lointain qui coinçait.
Et je comprends bien que m'entêter à poursuivre dans cette voie ne débouchera sur rien de bon. Je change donc mon mousquet d'épaule, abandonnant l'aspect « raid lointain », pour voir quels autres éléments je pourrais intégrer à mon histoire. Et c'est ainsi que je me souviens du tome 5, Alda, de la série de BD Les tours de Bois-Maury de Hermann, dont j'ai parlé précédemment, avec ce vieux seigneur devenu la marionnette d'une jeune femme dont les ardeurs l'aveuglent. Je commence à entrevoir la possibilité de mêler des bouts de l'une et de l'autre trame pour en faire un unique scénario.

Le squelette de la trame se dessine :
  • acte I : je vais emprunter aux Sept cavaliers ce qui est relatif au poste-frontière affecté par l'incurie et la corruption, pour installer l'ambiance, et confronter les PJ à deux types de tensions : les tensions entre deux clans de part et d'autre de la frontière, et les tensions internes à leur propre clan ;
  • acte II : je vais piocher également dans Les sept cavaliers les scènes de mise en action (les raids frontaliers) et le cadavre « encombrant » (celui du fils du chef du clan « d'en face »). Cela fournira aux joueurs des occasions de faire briller les valeurs combattantes de leurs personnages, et au MJ de mettre les PJ en situation de participer à l'arbitrage entre deux types de réactions possibles de la part de leur garnison (diplomatie ou représailles ?) ;
  • acte III : c'est là qu'Alda va venir à ma rescousse, avec le vieux chef de clan soumis à l'influence de son ardente maîtresse. Cet acte poussera les PJ à se creuser la cervelle pour découvrir le pot aux roses, à négocier une alliance entre des représentants de deux clans pour unir les forces nécessaires à vaincre les brigands et, ne le nions pas, se faire plaisir avec le combat final !

Voilà, j'ai mon squelette de trame, qu'il me reste à habiller avec de la chair typiquement rokugani (ou, tout au moins, que je considère comme typiquement rokugani dans ma médiocre connaissance de cet univers).
  • le thème du cheval, figure imposée pour ce numéro du webzine, me porte à choisir l'un des clans du scénario comme étant celui de la Licorne. Face aux Licornes et à leur « étrangeté » par rapport aux autres clans de Rokugan, j'opte pour un groupe de PJ du clan du Lion. Les Lions sont moins policés que certains autres clans (les Grues ou les Phénix, par exemple), et ils correspondent bien à ma vision de ces terres rudes de la frontière ; en outre, le fait qu'ils ne sont pas spécialement enclins à la diplomatie rendra les scènes de contacts avec les Licornes d'autant plus intéressantes à jouer ;
  • pour apporter du piment à l'aventure, les PJ peuvent être des membres de la garnison de ce poste-frontière ou bien des membres de la suite du samurai qui vient en prendre le commandant en remplacement de l'officier récemment tué. Cela peut offrir des situations de jeu intéressantes au sein du groupe des PJ, entre ceux qui sont déjà dans le système de corruption locale et ceux qui arrivent dans ce territoire avec un regard neuf ;
  • enfin, je fais de la jeune maîtresse du vieux chef Licorne un agent du clan du Scorpion, chargée de maintenir un état de tension entre les Licornes et les Lions dans cette zone frontalière.

Il ne me reste qu'à apporter des détails complémentaires sur les lieux et les personnages de l'aventure, et à formaliser le tout en un texte publiable. Le scénario est finalement paru dans le n°13 (juin-juillet 2009) du fanzine de la Voix de Rokugan, sous le titre « Le vieux cheval » (pages 13 à 18).

Vous pouvez télécharger ce numéro du webzine (et les autres) à partir de cette page-là.

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samedi 13 mars 2010

Histoire de chevaux et d'amours

J'avais acheté le roman Les sept cavaliers (éditions du Masque, collection Labyrinthes, 1999, ISBN 978-2702496688 ; A famine of horses, en VO) de Patricia Finney Chisholm par curiosité. Je voulais découvrir, par le biais de la fiction, un univers que j'avais abordé au travers de quelques livres d'histoire, comme The Border Reivers, de Keith Durham, avec les superbes illustrations d'Angus McBride. J'avais alors profité de la publication du roman en traduction française, n'ayant pas trouvé la version originale dans une libraire proche de chez moi.

(illustration Angus McBride)

Le roman se déroule à la fin du XVIe siècle (en été 1592), dans cette zone frontalière entre Angleterre et Écosse, agitée pendant plus de trois siècles par les querelles entre clans écossais et familles anglaises, et même au sein des clans et des familles. Le personnage central est Sir Robert Carey, jeune noble anglais disposant de quelques appuis à la cour de la reine Elizabeth ; le personnage du roman est directement inspiré du « vrai » Sir Robert Carey, homme d'action et de diplomatie, dont la vie nous est connue grâce aux Mémoires qu'il a écrits.
Le roman présente un premier intérêt que je qualifierais de « documentaire », en ce qu'il met en scène et en images ce territoire au travers de ses habitants, de ses villes comme Carlisle, de ses maisons fortes et de ses landes sauvages. Des gens et des décors immédiatement utilisables dans des jeux de rôles à univers historique comme Te Deum pour un massacre, grâce à ces deux tomes du supplément Les deux reines, ou comme Gurps Swashbucklers.


De l'intrigue du roman, ou plutôt de ses intrigues mêlées, je retiendrai trois lignes directrices :
  • celle qui donne son titre original au roman, la pénurie de chevaux dans cette région frontalière, pénurie qui vient du fait que le clan de Jock Graham et ses clans alliés rassemblent autant de montures qu'ils le peuvent pour tenter de pénétrer loin en territoire écossais, jusqu'à la résidence royale de Falkland Palace à Fife, et y enlever le roi James et en tirer rançon ;
  • celle du meurtre d'un fils de Jock Graham, dont une patrouille frontalière a retrouvé le corps abandonné dans les landes. Compte tenu de la situation très tendue dans les Borders, le meurtre du fils d'un chef de clan prompt aux représailles est une affaire délicate à dénouer. Il s'avérera pourtant que ce meurtre n'a rien de politique ni de stratégique, mais qu'il relève d'affaires privées, sur fond d'amours impossibles entre un jeune homme d'un clan et une jeune femme d'un autre ;
  • celle, plus diffuse au long du roman, de la situation politique et militaire à Carlisle et dans les environs, qui voit les rivalités entre potentats locaux saper l'autorité, et le laisser-aller et la corruption émousser la valeur combattive des hommes d'armes, etc.

Du point de vue rôlistique, ces trois lignes tissées entre elles comme dans le roman peuvent conduire assez facilement à un scénario mêlant considérations « politiques », enquête et action. Il suffit de disposer, pour cela, d'une zone frontalière qui servira de cadre général à l'aventure et, dans cette zone frontalière, d'un poste avancé, de taille adaptée à votre univers de jeu (du fortin à la ville fortifiée), avec une garnison touchée par la routine et la prévarication, et une paix fragile avec des voisins turbulents. Ce peut être une frontière entre deux royaumes de grande taille (comme dans le roman, où il s'agit de la frontière entre Angleterre et Écosse) ; mais cela peut tout aussi bien être une frontière entre deux états de plus petite taille (deux cités-états italiennes de la Renaissance, par exemple), entre deux territoires de « clans » (comme les « clans » de Rokugan dans le Livre des cinq anneaux), entre un état organisé et des territoires plus « tribaux » (par exemple la frontière entre l'empire romain et les territoires germains), etc.
Bâtir un scénario de JdR autour des amours contrariées de deux personnes relevant de groupes se vouant des haines pouvant aller jusqu'à la mort n'est pas insurmontable. Ce qui peut être plus malaisé, en revanche, c'est de mettre concrètement en œuvre ce scénario autour d'une table de jeu, du fait du grand-écart entre l'inimitié des deux groupes, dans laquelle baignent PJ et PNJ et qui conditionne probablement une grande partie de leur manière de réagir, et un sentiment aussi profondément individuel que l'amour. Certes, Shakespeare, entre autres, en a tiré quelque chose de remarquable, mais faire jouer Romeo et Juliette dans les Borders (ou ailleurs) peut se révéler plus casse-gueule, malheureusement. Je crois, toutefois, que l'expérience vaut la peine d'être tentée.


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Bibliographie (anglophone) conseillée pour tirer le meilleur partie d'une adaptation directe de ce roman à Te Deum pour un massacre / Les deux reines :
  • The Border Reivers, de Keith Durham (auteur) et Angus McBride (illustrateur) (éditions Osprey Publishing, collection Men-at-Arms n°279, 1995; ISBN: 978-1855324176)
  • Strongholds of the Border Reivers, Fortifications of the Anglo-Scottish Border 1296–1603, de Keith Durham (auteur) et Graham Turner (illustrateur) (éditions Osprey Publishing, collection Fortress n°70, 2008, ISBN 978-1846031977)
  • The Reivers: The Story of the Border Reivers, d'Alistair Moffat (éditions Birlinn Publishers, 2008, ISBN 978-1841586748)
  • The Steel Bonnets: The Story of the Anglo-Scottish Border Reivers, de George MacDonald Fraser (éditions Skyhorse Publishing, 2008, ISBN 978-1602392656)
  • sites sur les Border Reivers : http://www.borderreivers.co.uk/ et http://www.borderreivers.net/wordpress/

lundi 8 mars 2010

Emprise de charme

La série de bandes dessinées Les tours de Bois-Maury, du très talentueux Hermann, ancrée dans le XIe siècle de notre Histoire, m'a déjà offert quelques inspirations rôlistiques. Certains de ses tomes, comme Le Seldjouki (tome 8) et Khaled (tome 9), se prêtent à une adaptation presque directe à des scénarios « historiques » en Terre Sainte, pour des jeux comme Miles Christi ou Secretum Templi ; j'y reviendrai dans de prochains billets. C'est au tome 5, Alda, que je vais m'intéresser dans ce billet-ci, car le ressort de cette intrigue est suffisamment universel pour pouvoir inspirer des MJ dans des univers très variés.

[Attention, révélation de l'intrigue]
Venant rendre visite à son vieil ami Yvon de Portel, le chevalier Aymar de Bois-Maury se rend compte que le fief de Portel est quasiment à l'abandon. L'épouse et le fils du seigneur ont disparu, et Yvon de Portel, qui a perdu la raison, n'est plus qu'une marionnette dont les fils sont tirés par Guillaumette, son ardente amante, membre d'une bande d'amuseurs-brigands qui ont investi le château. Pris au piège, lui-même, dans ce château devenu souricière, Aymar, avec l'aide de son écuyer, va croiser divers indices et utiliser quelques failles au sein de la bande de brigands pour comprendre ce qui se trame au château et libérer Yvon de cette emprise de luxure.
Dans cet album, Hermann bâtit une histoire relativement simple : une jeune femme fait tourner la tête d'un homme, le coupe de toute sa famille, et est bien décidée à se faire épouser par lui puis à l'éliminer pour bénéficier de sa fortune. Mais il arrive à donner de la profondeur à l'intrigue centrale par quelques intrigues secondaires (par exemple, Yvon a fait mettre son épouse et son fils au secret mais ne s'est pas résolu à les tuer) et par les motivations des personnages eux-mêmes : derrière cette « simple » manipulation, les personnages sont traversés d'amour parfois sincère, de chagrin profond, de jalousie, d'illusions qui se perdront, etc.

Les éléments qui rendent cette histoire intéressante pour un scénario de JdR sont, à mes yeux :
  • la simplicité de l'intrigue, qui permet de la mettre en jeu sans grande difficulté ;
  • la possibilité de la décliner dans la même perspective que dans la BD (un homme manipulé par une femme) ou dans la perspective inverse (une femme manipulée par un homme), ou dans des perspectives différentes si l'univers du jeu s'y prête (la personne manipulée et la personne manipulatrice sont amants de même sexe) ;
  • la possibilité de bâtir un scénario court, qui s'en tienne à l'essentiel de la trame, ou un scénario long incluant des intrigues secondaires, voire d'autres scénarios intercalés entre deux actes de ce scénario-ci ;
  • la capacité à adapter l'adversité au nombre de PJ composant le groupe vivant cette aventure-là. La manipulation reste centrée sur la relation entre deux personnes, mais les brigands de la bande peuvent être plus ou moins nombreux et coriaces suivant l'opposition que le MJ soit mettre en face des PJ ;
  • les modes de résolution variés : une fois que les PJ ont compris ce que trament la manipulatrice et ses complices, libérer le manipulé de l'emprise dans laquelle il est prisonnier peut prendre des formes très différentes selon le type d'univers de jeu. Dans certains cas, là où le système de justice propre à l'univers n'est pas spécialement développé, la subtilité ne sera pas forcément de mise (c'est le cas dans Alda, où la bande est écrasée dans un combat final) ; tandis que dans d'autres cas, il conviendra de trouver des moyens moins meurtriers.

Outre des adaptations directes, j'ai réutilisé cette trame en la mêlant à des éléments empruntés à un roman, Les sept cavaliers de Patricia Finney Chisholm, pour écrire un scénario pour le webzine de la Voix de Rokugan, consacré au jeu Le livre des cinq anneaux. Dans le prochain billet, je présenterai ce roman, et ce qui peut en être tiré pour du JdR, et dans le suivant, j'évoquerai le scénario que j'ai écrit en combinant les inspirations tirées de la BD Alda et du roman Les sept cavaliers.

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dimanche 7 mars 2010

Du roman au scénario de JdR (7) : aller vers une trame générique et redonner une autre chair

Comme je l'ai écrit dans le premier billet de cette série, la lecture des Ombres de Wielstadt amène assez facilement à penser à une adaptation à un jeu de rôles comme Warhammer, avec son kabbaliste trahi, son âme vengeresse, ses goules, ses juges et bourreaux secrets qui ne sont pas sans rappeler les répurgateurs warhammeriens.
Mais, comme je l'ai écrit également, les ressorts de son intrigue sont suffisamment universels pour se prêter à des adaptations dans des ambiances bien différentes de celui-là.


Dépouillons, dépouillons...

Avant de procéder à une adaptation à un autre environnement de jeu, je reprends mon diagramme et mon résumé directement tirés du roman, et je les dépouille de tout ce qui est typiquement wielstadien, pour n'en garder qu'un squelette sans chair. Par exemple :
  • « le kabbaliste trahi, condamné et spolié » devient-il, sans plus de détail, une personne trahie, condamnée et spoliée ;
  • son « âme vengeresse » reste « son porteur de vengeance » ;
  • la Sainte-Vehme devient, en termes plus génériques, un groupe faisant justice par lui-même ;
  • à la place des goules, toute autre forme de tueur sans scrupule, obéissant et un tantinet sociopathe fera l'affaire ;
  • les livres de magie et d'astrologie du kabbaliste peuvent être remplacés par tout autre possession de valeur. Y compris par quelque chose d'immatériel, comme l'amour pour une autre personne.


... puis rhabillons

Pour poursuivre l'adaptation vers un univers différent, il faut donc modeler une nouvelle chair sur ce squelette générique. Cette nouvelle chair apportera la saveur particulière à l'univers d'adaptation, dans ses décors, dans les particularités de l'intrigue et des personnages, tout en respectant la trame initiale autant que possible :
  • si l'on souhaite respecter l'esprit du roman, dans l'adaptation, le « grand méchant » doit être un ancien chercheur, un érudit à tout le moins. Car c'est bien ce qu'était ce kabbaliste, avant d'être trahi et condamné : un chercheur. Les biens précieux dont il a été dépouillé peuvent donc être, par exemple, des documents de valeur établis par un chercheur. Des cartes géologiques indiquant des positions de filons de minerais de grande valeur ? Des recherches en génie génétique ouvrant la voie à la guérison d'une maladie jusque là considéré incurable ? Une collection de tableaux de maîtres ?
  • mais le scénario peut également tourner autour du personnage qui occupait des fonctions différentes de celle-là. Il pouvait être gestionnaire d'un domaine, d'une entreprise, par exemple ;
  • de son côté, le «porteur de vengeance » n'est pas forcément un phénomène surnaturel : il peut s'agir de la personne trahie, elle-même, « qui n'était pas vraiment morte » (un grand classique au cinéma et dans les romans), ou bien de quelqu'un qui a décidé de venger sa mort (un autre de ses disciples, un fils caché, etc.) ;
  • le groupe faisant justice par lui-même peut prendre la forme d'une Inquisition (historique ou futuriste), d'une organisation criminelle, ou encore d'une police politique ;
  • remplacer les goules par un autre type de tueur peut entraîner la disparition, dans le diagramme, de la liaison entre les exécuteurs à la solde du « grand méchant » et la bande de truands avec lesquels ils ont eu maille à partir ; en effet, dans le roman, c'est parce que les mercenaires ont été tués par les truands que le « grand méchant » a pu disposer de leurs cadavres pour en faire des goules. Si les sbires du « grand méchant » ont une origine autre que leur meurtre préalable et la nécromancie, il conviendra, alors, de cogiter une solution de remplacement.

Pour conclure cette présentation de ma méthode d'adaptation, je vais essayer, dans un avenir pas trop lointain, de proposer au moins une adaptation détaillée des Ombres de Wielstadt en scénario de JdR.

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mercredi 3 mars 2010

Du roman au scénario de JdR (6) : réorganiser la matière disponible

Maintenant que je dispose de mon résumé des chapitres, de ma liste de personnages et de mon diagramme, je peux écrire la trame du scénario, en réorganisant la matière disponible. Je n'ai pas de recette-miracle pour cela, et je crois qu'il y a encore matière à pas mal de réflexion sur le sujet, surtout s'il s'agit d'arriver à produire un document qui devra être pris en main par d'autres maîtres de jeu (MJ). Pour moi, un scénario de JdR ne doit pas être conçu comme une nouvelle offrant du plaisir de lecture, mais comme un outil tourné vers une utilisation pragmatique. Je reconnais ne pas suivre, moi-même, dans ma façon d'écrire, cette consigne, et me laisser souvent aller au plaisir d'écrire. Mais je crois que c'est une erreur, parce que ça ne facilite pas la prise en main par un MJ.
Il me semble que l'écriture peut toutefois s'organiser autour des axes suivants.

Exposer l'histoire en quelques mots

Fournir un résumé complet du scénario me paraît être une condition essentielle. Le futur MJ doit comprendre, en quelques lignes, à quel genre d'aventure il va s'attaquer.
Pour un scénario directement adapté des Ombres de Wielstadt, j'écrirais ceci :


Trahi par son propre frère, jaloux de lui, et par un de ses disciples, puis jugé et condamné par un tribunal secret, un kabbaliste a péri sur le bûcher. Mais, après vingt ans d'errance dans les limbes, son âme revient à Wielstadt se venger de ceux qui lui ont fait ce tort, dénonciateurs, témoins, juges, et « héritiers » de ses livres de magie. Les PJ, amenés à enquêter sur une série de meurtres sauvages, devront saisir les liens entre toutes ces victimes, comprendre les tenants et les aboutissants d'une affaire vieille de vingt ans, et terrasser cette âme vengeresse avant qu'elle n'achève son rituel d'incarnation.

Présenter les actes et scènes de l'aventure

Cette présentation peut se faire de manière clinique, sans chichis. Je ne suis pas un grand spécialiste de la théorie d'écriture des scénarios, et des formules du genre « 3 actes découpés en 3 scènes chacun », alors je travaille plutôt à la bonne franquette, même si, au final, je ne suis pas trop éloigné de cette architecture en 3 actes.
Pour l'adaptation « simple » des Ombres de Wielstadt, je m'orienterais vers la structure suivante :
  • ouverture : les 2 premières victimes ont été découvertes. Les PJ sont « mis sur l'affaire », par exemple parce qu'une des victimes est un de leurs amis, ou parce qu'ils sont membres du corps municipal ou de la « police » de la ville et, à ce titre, responsable de la sécurité des citoyens ;
  • acte 1 : les PJ commencent à mener l'enquête et à récolter les premiers indices. Même modus operandi des meurtriers, mais difficulté à comprendre les points communs entre les victimes. La découverte de la 3e victime n'amène pas beaucoup plus de clarté, mais fait monter la pression ;
  • acte 2 : avec la découverte de la 4e victime arrive la découverte de la « liste des 10 ». En progressant, l'enquête amène à entrevoir qu'il y a deux groupes de victimes, celles qui ont « récupéré » des livres de magie et celles qui ont fait partie d'un tribunal secret ;
  • acte 3 : la poursuite de l'enquête, avec le croisement des diverses informations, amène à comprendre que les deux groupes de victimes (« ceux des livres » et « ceux du tribunal ») sont liés par une même affaire ;
  • final : identifier les futures victimes probables permet d'affronter le « grand méchant » dans une scène finale.
Il reste alors à caler des scènes complémentaires, comme le combat contre les goules, ou des intrigues secondaires optionnelles, comme aller demander l'aide des Templiers.

Peindre une belle galerie de PNJ

Pour ne pas encombrer le corps du scénario (la présentation des actes et scènes) avec des détails sur les personnages, leur historique, leurs motivations, je renvoie tout cela à la « galerie des PNJ ». Je ne passionne pas vraiment pour la partie « chiffrée » des PNJ, leur traduction en termes techniques de jeu, à moins que ce ne soit une commande spécifique, un article du cahier des charges d'un concours, etc.

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