mercredi 23 février 2011

Des ninja, mais dans le titre seulement


Je suis, ces temps-ci, en pleine immersion dans la lecture de Tenga. Alors, en voyant, dans le catalogue des éditions Philippe Picquier, deux volumes intitulés Les manuscrits ninja et portant un nom d’auteur japonais, Yamada Futarô, je me suis dit que, vu le sérieux de cette maison d’édition, je pouvais me risquer sur ce terrain parfois glissant. Parce que, du mauvais roman, du mauvais film, ou du mauvais article dans des journaux ou sur le net, c’est assez facile à trouver avec « ninja » comme mot-clé, et je n’avais pas vraiment envie de me lancer à l’aveuglette. J’ai donc fait confiance au nom de l’éditeur (comme quoi, il m’en faut parfois peu !), et j’ai acheté ces deux romans : Les sept lances d’Aizu (tome 1 ; 2010, ISBN 2-8097-0170-8) et Les sept guerrières d’Hori (tome 2 ; 2010, ISBN 2-8097-0195-1).



Bien m’en a pris, car cette double lecture s’est révélée agréable. Je vais tout de même évacuer, dès à présent la question des « ninja » : s’ils apparaissent bien dans le titre, ne les cherchez pas dans le livre, ils n’y sont pas. En tout cas, ils n’y sont pas sous la forme rendue classique de ces combattants en combinaison noire les couvrant de la tête aux pieds et maniant un sabre droit et mille et un gadgets, des étoiles de lancer aux grenades fumigènes en passant par les fioles de poison. Dans ces romans, pas de ninja de ce genre. Si c’est ce que vous cherchez, passez votre chemin, vous ne pourriez qu’être déçu.
Si, en revanche, vous avez envie d’être emporté dans une lecture mêlant assez habilement sentiments et action, et mettant en scène des personnages bien trempés – au point d’en être un peu caricaturaux, comme dans les romans-feuilletons d’aventure – alors laissez-vous tenter. Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit. Un roman d’aventure dont les bases sont posées dès le premier chapitre, dont on se doute de l’issue dès ce même premier chapitre, et dont on sait qu’il sera habité de personnages quelque peu taillés à la serpe, et construit sur une succession d’épisodes denses entrecoupés de rebondissements parfois artificiels.



Dans Les sept lances d’Aizu, le décor est planté rapidement : un méchant seigneur, servi par des fidèles guerriers aussi méchants que lui, s’emparent d’un fief au prétexte de punir une trahison avec l’aval du shogun. Les méchants guerriers, au nombre de sept, massacrent les « traîtres » et leurs épouses, leurs mères, leurs filles... sauf sept d’entre elles, presque miraculeusement sauvées par l’intervention d’une grande dame. Voilà les deux camps en présence :
- d’un côté, ce daimyo et ses sept hommes de main. Chacun des sept est reconnaissable à l’arme qu’il manie avec une diabolique adresse, qui le sabre, qui le fouet, qui la chaîne ;
- de l’autre, ces sept jeunes femmes, que rien n’a préparé à une vie de vengeance par les armes. Elles reçoivent l’aide d’un moine zen et, surtout, d’un mystérieux maître du sabre qui va les former, les conseiller, leur apprendre la patience et la prudence.
Les deux tomes narrent cette vengeance, où ruses et contre-ruses sont souvent plus utiles que la force brute. Le lecteur avisé se doute, bien sûr, des grandes lignes de l’issue de l’histoire, mais il n’est pas difficile de se laisser porter par le récit, jusqu’à l’affrontement final. Les situations sont variées, la galerie des personnages de premier et de second plan est assez savoureuse (même si je regrette que chacune des sept jeunes femmes ne soit pas mieux mise en valeur, mieux différenciée des autres). Attention tout de même, ces romans ne sont pas destinées à un jeune public, certaines des perversions dont souffre le « méchant » daimyo et certaines personnes de son entourage ne sont pas très ragoûtantes.

Certes, il n’y a rien de bien nouveau sous le soleil avec une telle histoire de vengeance, ni dans l’apprentissage du fait que lorsqu’on doit affronter des adversaires plus « forts » que soi, il vaut mieux les affronter un par un (le dernier des trois Horaces n’a pas agi autrement en affrontant les trois Curiaces). Rien de bien nouveau, non plus, dans la gémellité du bien et du mal. Mais le traitement de l’ensemble, à défaut d’être très original, est, à tout le moins, plaisant. Et ces romans constituent une inspiration fort pratique pour un auteur de scénario de jeu de rôle. Surtout s’il s’agit d’un JdR d’ambiance plus ou moins directement japonaise, du désormais classique Livre des cinq anneaux au malheureusement sous-estimé Usagi Yojimbo, en passant par le tout récemment publié Tenga.
Même si l’action des romans se déroule en 1642, une cinquantaine d’années, donc, après la période couverte par Tenga, l’action est transposable sans souci à l’univers du jeu (ou, disons, ma maigre connaissance des particularités de ces deux périodes m’amène à penser que l’action est transposable de l’une à l’autre sans souci). Et chaque scénariste pourra doser, à son gré, la touche de surnaturel à instiller dans cette aventure.

Si vos joueurs sont allergiques ou imperméables à l’ambiance kimono-katana, pas de panique ! Le thème de la vengeance nourrie de patience et de ruse est suffisamment universel pour que vous trouviez moyen de le transposer à un environnement différent. Néanmoins, gardez présent à l’esprit qu’une telle vengeance est plus difficile (et donc, à mon sens, plus intéressante à mettre en œuvre) si le « niveau technologique » de l’univers de jeu ne permet pas de tuer les adversaires à longue distance, ou si certains codes de conduite obligent les vengeurs à tuer leurs cibles en voyant le blanc de leurs yeux.

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mardi 1 février 2011

La foire d’empoigne

 
Puisque je l’ai récemment promis, c’est sans attendre que je vais vous présenter une autre inspiration que j’ai trouvée, il y a bien des années, dans l'œuvre d’Ellis Peters, avec son roman La foire de Saint-Pierre (Saint Peter's Fair), paru en 1981, et son adaptation pour la série télévisée britannique pour ITV Cadfael, (13 épisodes en 4 saisons, aux premières diffusions entre 1994 et 1998), dont il constitue le 2e épisode de la 3e saison, réalisé par Herbert Wise.



Ce roman a pour contexte la même période troublée qu’Un cadavre de trop, autre roman d’Ellis Peters, objet de mon précédent billet : la guerre civile entre Stephen et Maud pour s’asseoir sur le trône du défunt Henry I d’Angleterre. L’aventure s’ouvre sur la foire de Saint-Pierre, un des saints patrons de l’abbaye de Shrewsbury, le monastère qui est au cœur de toute la série de ces romans du frère Cadfael. Comme toutes les foires médiévales, cette foire de Saint-Pierre est un moment économique fort de l’année ; mais, en cette période de guerre, les marchands venus commercer ne sont pas très enclins à contribuer financièrement, par des taxes commerciales, à l’effort de reconstruction des murailles de Shrewsbury.



Mais quand, après une rixe entre marchands forains et locaux, un commerçant de Bristol est retrouvé mort et que le fils du prévôt de la ville est le premier suspect de son meurtre, l’affaire devient plus grave. Et frère Cadfael doit mener l’enquête, bien sûr ! Et quand un deuxième marchand est tué, l’intrigue prend une nouvelle tournure, plus complexe.
Car si la foire est une occasion de mener des affaires commerciales, elle est aussi propice aux rencontres entre des gens qui ont d’autres affaires à mener, plus politiques. Entre l’espion d’un prince gallois qui voudrait trouver des informateurs de ce côté-ci de la frontière, les envoyés de l'impératrice Maud cherchant à négocier des soutiens de seigneurs locaux, et les agents de Stephen tenant absolument à mettre la main sur une liste de prétendus soutiens du roi qui sont, en réalité, des partisans de Maud, le chassé-croisé est sournois et sans pitié.



Autant dire que, là encore, c’est une intrigue presque clé en main que ce roman offre aux rôlistes. Le cadre de départ est assez simple à mettre en place, avec cette foire et ces tensions entre marchands locaux et forains, et il offre la possibilité d’impliquer dans l’aventure des PJ qui relèvent d’archétypes parfois sous-employés en JdR : par exemple, un marchand ventripotent sans aucun don pour le combat, un moine qui ne soit pas obligatoirement un vétéran des croisades, etc. Il ne reste qu’à glisser, au milieu des marchands, les intrigants des différentes factions, sous leurs diverses couvertures correspondant aux possibilités de l’univers d’adaptation (négociants, colporteurs, mariniers, charretiers, nobles en pèlerinage, etc.).
Suivant la profondeur que le scénariste souhaite donner à l’intrigue et, bien sûr, en fonction de l’univers du jeu, il doit doser le rang des chefs des factions impliquées qui tirent les ficelles dans l’ombre. Dans le roman, il s’agit ni plus ni moins que des deux prétendants au trône du roi d’Angleterre. Mais, dans un autre genre d’univers, il peut s’agir des services secrets de deux pays en guerre froide, de chefs de gangs urbains ennemis, ou encore de caciques de tribus rivales.

Voilà du prêt-à-cuisiner. Le roman fournit la recette, et il ne reste au scénariste qu’à en adapter les ingrédients à la gastronomie de son univers préféré, à en doser les épices, et à déguster l’ensemble avec les convives de son choix.