dimanche 11 septembre 2011

Partons pour la Terre sainte


Le n°3 du magazine rôliste Di6dent est bouclé, et il arrivera bientôt en version papier dans les boîtes à lettres des abonnés et sur les rayons des boutiques spécialisées.


Dans le menu bien riche de ce n°3, la rubrique « Old School » jette un coup de projecteur sur le jeu Miles Christi, dans lequel les joueurs incarne des Templiers en Terre sainte au début du XIIe siècle.


Une partie de ce dossier Miles Christi du n°3 de Di6dent pointe quelques inspirations fictionnelles et non fictionnelles pour se mettre dans l’ambiance du jeu. Compte tenu de l’espace contraint d’un article de magazine, il était difficile de donner beaucoup de détails sur ces inspirations. Je me permets donc de développer ici, avec l’accord du rédacteur en chef de Di6dent (merci à lui !), des points sur certaines des sources d’inspirations citées dans l’article. Et je vais commencer par trois tomes consécutifs de la série de BD Les tours de Bois-Maury, d’Hermann.

En préambule, je dirais que cette série présente, à mon sens, l’intérêt de fournir des références visuelles à la fois simples et fortes pour les joueurs de Miles Christi. Elle a pour cadre chronologique le tournant entre le XIe et le XIIe siècle, ce qui offre donc des illustrations très directement exploitables pour les MJ et les joueurs. C’est le cas, en particulier, pour tout ce qui concerne les chevaliers et autres hommes d’armes. Heaume à nasal, haubert de maille, écu en amande, on voit très vite à quoi pouvait ressembler, quand il était en armes, le genre de personnage que l’on incarne dans Miles Christi. Et de nombreux autres types de personnages apparaissent tout au long de la série, dans laquelle il suffit de piocher. Quant aux décors des aventures, la série en est très riche : villes, villages, campagnes, ports, cherchez, et vous trouverez !


Le premier des trois tomes que j’ai choisi de citer ici, William (le tome 7 de la série, Glénat, 1991, ISBN 2-7234-2594-0), conte le début du périple d’un groupe de de pèlerins vers la Terre Sainte. La première moitié du livre conduit les personnages d’Angleterre en Europe centrale, en passant par Bruges. Je la laisserai de côté, ici, car elle ne sert pas mon propos, et je vais plutôt me concentrer sur la deuxième moitié. Aymar de Bois-Maury et ses compagnons de route, tant pèlerins que chevaliers et hommes d’armes, éreintés par les épreuves traversées jusque-là, sont obligés de faire étape dans un village où la religion est celle de l’Église d’Orient. Ils sont bien loin de se douter que le village n’aura aucune hospitalité envers eux. Les villageois veulent en effet se venger des violences et déprédations qu’ils ont subies d’un précédent groupe de pèlerins et hommes d’armes, dont William, ami d’Aymar. Retranchés dans l’église « byzantine », assiégés par des villageois enragés de haine, Bois-Maury et ses compagnons devront se frayer un chemin de fer et de feu pour sortir de cette nasse.
Ceci offre une base intéressante pour un scénario de Miles Christi « avant la Terre Sainte ». Les personnages sont confrontés à une haine dont ils ne sont pas la cause directe, à des villageois qui ne veulent pas faire la différence entre ceux qui les ont foulés aux pieds et ceux qui leur ressemblent tant. Et, alors que leur objectif est d’aller se battre en Terre Sainte contre les « infidèles », voilà ces chevaliers, écuyers et pèlerins réduits à mettre à feu et à sang un village « chrétien » pour défendre leurs vies. Dans la perspective d’une aventure de Miles Christi, il y a là de quoi mettre des personnages Templiers devant d’intéressants dilemmes : jusqu’où iront-ils pour protéger les pèlerins dont ils ont la charge ? Jusqu’où iront-ils pour récupérer un chevalier capturé par les villageois ? Jusqu’où iront-ils pour sortir de ce village ? Confrontés à un adversaire chrétien, trouveront-ils en eux la force d’incarner les valeurs des Templiers et de respecter la règle à laquelle ils ont choisi de se lier ? Une aventure qui conduira les personnages à s’explorer intérieurement.


Changement de décor avec Le Seldjouki (tome 8, Glénat, ISBN 2-7234-1423-X), qui nous plonge « au mitan de l’Anatolie » comme le dit clairement la première case. Trop pauvres pour se payer le passage par la mer vers la Terre Sainte, Aymar de Bois-Maury et ses compagnons poursuivent leur marche, à travers ce désert où la pulpe fraîche et gorgée d’eau d’une pastèque peut faire la différence entre la vie et la mort.
Dans ce tome, Bois-Maury et ses compagnons vont se trouver mêlés, bien malgré eux, aux intrigues politiques entre les diverses forces en présence dans la région. Car dans ce coin de désert, les envoyés de l’empereur byzantin Alexis Comnène et ceux du sultan seldjoukide Kiliç Arslan palabrent. Alexis Comnène cherche à protéger ses territoires qui ont aiguisé l’appétit de ses voraces voisins, qu’ils soient Turcs, Petchenègues ou Normands « d’Italie » ; quant à Kiliç Arslan, celui-là même qui a anéanti la croisade populaire de Pierre l’Ermite, il a l’ambition de se tailler sa part de territoires dans la région, pour tenir tête tant aux Byzantins et aux Francs qu’aux menées du Turc Danichmend Ghâzi. Une partie d’échecs se joue donc à trois, dans ce désert d’Anatolie entre Francs, Byzantins et Seldjoukides. Partie dans laquelle un Seldjouki, porteur d’un message de son sultan au basileus de Byzance joue un rôle majeur.
Voici donc une bonne source d’inspiration pour un scénario dans lequel les personnages deviennent des pions dans cette partie d’échecs, une aventure qui leur fait toucher, du bout des doigts, la « grande Histoire ». Pour me lancer dans une comparaison qui pourrait paraître osée, et inciter les rôlistes à ne pas avoir peur de se lancer dans des aventures de ce genre, je dirais que ce Seldjouki peut être regardé avec les mêmes yeux que l’on regarde Les trois mousquetaires d’Alexandre Dumas, avec des jeux d’alliances et de méfiances (c’est bien ce que l’on trouve aussi entre France, Angleterre et Espagne du XVIIe siècle, quand les querelles de religion comptent moins que les enjeux géostratégiques), et des personnages du commun (quand bien même ils sont aux régiments des Mousquetaires ou des Gardes) mêlés à affaires des États.
Pour des personnages de Miles Christi, c’est le moment de se rendre compte qu’au-delà de leur position de chevaliers-soldats-moines, ils sont aussi partie prenante du « grand jeu » auquel se livrent l’Occident chrétien, l’empire byzantin et le monde « sarrasin ».


Enfin, avec Khaled (tome 9, Glénat, ISBN 2-7234-1617-8), nous voici pleinement en Terre Sainte. Aymar de Bois-Maury se laisse convaincre par Reinhardt von Kirstein, une de ses anciennes connaissances qu’il vient de retrouver, de porter assistance au chevalier Bernard de Mance, assiégé en son château par les « Arabis » de Yazid al-Salah. Aymar accepte de se joindre à la troupe qui partira de Nazareth livrer au château assiégé les vivres indispensables à éviter la reddition de la place forte. Mener la caravane à sa destination ne sera pas de tout repos, car Yazid al-Salah bénéficie des renseignements que lui livre le « Franj » Fayrnal, ennemi juré de Bernard de Mance. La « mission » culminera dans l’affrontement final entre Francs et Sarrasins, dans le choc frontal des cavaleries et les manœuvres de contournement d’infanterie.
Ce tome est l’occasion d’envisager un autre type d’aventure pour des personnages de Miles Christi en Terre Sainte, où les rivalités entre seigneurs « franjs » interfèrent avec la lutte contre les « Arabis ». Une occasion de jouer sur d’autres aspects, encore, de ce que sont ces chevaliers-soldats-moines.

dimanche 4 septembre 2011

Du côté des sorcières

Comme je suis peu doué pour inventer des aventures rôlistes de toutes pièces, je pioche mes inspirations dans des BD, des romans, des films. Et de préférence dans des sources d’inspiration qui ne sont pas trop connues, pour ne pas entendre la remarque tant redoutée, en plein milieu de l’aventure : « Ah, oui, c’est tiré de ce film-là, alors il ne nous reste plus qu’à... ».
Parmi ces mines d’inspiration méconnues de beaucoup de rôlistes (en tout cas, j’ai la faiblesse de penser qu’elles sont méconnues), la série de bandes dessinées de Daniel Redondo (dessin) et Gregorio Harriet (scénario), La marque de la sorcière (fiche Bédéthèque de la série). 


Une série malheureusement laissée en suspens après 5 tomes, publié en l’espace de sept ans et chez trois éditeurs successifs : La marque de la sorcière (tome 1, Dargaud, 1985), La louve (tome 2, Dargaud, 1986), Le roi des coqs (tome 3, Dargaud, 1988), L’ange déchu (tome 4, Les humanoïdes associés, 1990) et L’inquisiteur (tome 5, Soleil, 1992).

Cette série se déroule au début du XVIIe siècle, prenant naissance en Pays Basque au nord des Pyrénées, avant de passer en Navarre puis d’aller vers Saragosse. Les premiers tomes sont constituées par des histoires courtes, alors que les suivants sont bâtis sur une histoire unique. La série aborde des thèmes comme :
- les chasses institutionnelles aux sorcières qui ont eu lieu à cette période en Pays Basque (notamment celle menée par Pierre de Lancre dans la région de Bayonne en 1609) et les superstitions populaires, liées à ces supposés actes de sorcellerie. Les travaux des historiens d’aujourd’hui ont démontré que derrière ces chasses aux sorcières se cachaient des luttes d’intérêt, de pouvoir, de propriété foncière, des rivalités commerciales, etc. ;
- la question de la « pureté du sang » (l’expression espagnole, « limpieza de sangre » est encore plus dure, puisqu’elle signifie « propreté du sang »), devenue une sorte d’obsession dans la société espagnole du Siècle d’Or, où il importait de pouvoir démontrer sans l’ombre d’une doute que l’on était bien un « vieux chrétien », et qu’aucun Maure ou Juif ne ternissait son arbre généalogique ;
- la recherche de la vie éternelle par les alchimistes. Le tome 4, L’ange déchu, diffère en cela des quatre autres, car il incorpore une dose de surnaturel qui est absente des autres.

Les 5 tomes de la série offrent aux scénaristes de JdR des intrigues – courtes ou longues – dont l’adaptation ne constitue pas un défi majeur. J’ai tenté l’expérience de l’adaptation à partir de deux histoires courtes.
Pour l’une, je m’en suis tenu à une adaptation assez directe : j’ai gardé la trame quasiment telle qu’elle, j’ai conservé le décor géographique (Bayonne et le Labourd), et j’ai simplement avancé l’histoire de quelques années. Et je me suis retrouvé sans mal avec un scénario pour Te Deum pour un massacre : j’ai publié ce scénario, La lande du bouc, à l’occasion d’un concours amical dans laCour d’Obéron, et j’ai eu l’occasion de le faire jouer lors de la convention Gare aux Dragons à Bordeaux en 2010 puis lors d’une rencontre inter-clubs à Pau en mai 2011.
L’histoire en quelques mots
Bien décidée à mettre le grappin sur le riche négociant Martin Guyot (et sa fortune), Catherine de Paillet fait accuser son épouse Estebenote, de sorcellerie. Ignorant que c'est sa maîtresse qui organise cette accusation, Martin Guyot n'en est pas moins content de voir s'ouvrir cette perspective d'être libéré de son épouse.
Pour sauver l'accusée du bûcher, les PJ, qui sont par exemple ses parents ou ses amis, vont devoir mettre en lumière les manigances de l'intrigante et de ses complices.

Pour l’autre, j’ai gardé une bonne partie de la trame, mais j’ai transposé l’aventure loin de la Navarre, jusqu’au Japon, puisque j’en ai fait la base d’un scénario pour Tenga. Ce texte, Le fils chéri, écrit à l’occasion d’un autre concours amical dans la Cour d’Obéron, fera l’objet d’un développement en un scénario complet, à partir des remarques qui auront été faites dans le forum de la Cour et dans celui des éditions John Doe.
L’histoire en quelques mots
Le seigneur Shirô Tsuji veut marier son fils Satô à mademoiselle Tomiko, fille du seigneur Kazunori Shigeki. Mais le cœur de Satô penche pour une autre jeune femme, Sui, d’une catégorie sociale bien inférieure. Or, Satô n’est pas le fils de Shirô Tsuji ; il est en réalité le fils d’une femme de très modeste extraction, Haru, qui avait substitué son propre enfant à celui du seigneur Shirô Tsuji à la naissance, pour lui offrir un meilleur avenir. Haru est bien décidée à ce que son fils ne ruine pas le plan qu’elle avait échafaudé pour lui, et elle est prête à tuer pour cela.
Les PJ, pour la plupart étrangers à ce petit coin de Japon, se retrouvent mêlés à cette affaire et devront peut-être choisir leur camp. 



samedi 9 avril 2011

La guerre au fond des tripes

 
En me lançant dans la lecture de Fallouja ! de David Bellavia (éditions Nimrod, 2009, ISBN 978-2915243222), je ne savais pas pas trop dans quoi je me plongeais. J’ai acheté ce livre par curiosité, sans avoir lu quelque critique que ce soit auparavant, ni dans la presse papier ni sur le net.




J’ignorais donc totalement que l’auteur, un ancien sergent de l’infanterie des États-Unis, était devenu, grâce à ce livre, une personnalité médiatique et populaire, comme je l’ai découvert depuis. Cependant, il n’est pas vraiment étonnant que ce témoignage fiévreux et cru sur une petit bout de la guerre en Irak a de quoi attirer l’attention sur son auteur. S’il s’était agi d’un livre de fiction, j’aurais pu dire que je trouvais cela surfait, dans la glorification complaisante de la violence et de la capacité du soldat à tout supporter pour se surpasser.
Pourtant, il ne s’agit pas là d’un roman, mais d’un témoignage direct, certes co-écrit avec un journaliste, par un des combattants de la bataille de Fallouja à l’automne 2004. Alors cela prend une autre dimension, celle de l’introspection mise sur la place publique, du partage (voire du déballage) des certitudes et des doutes, des angoisses et des passions, d’un fantassin au cœur d’une bataille urbaine où chaque maison est un objectif, un piège, une bataille à elle seule. Cette vision, de l’intérieur, des affrontements menés par un groupe de combat d’infanterie mécanisée (des fantassins soutenus par des blindés) fait froid dans le dos ; c'est à la fois clinique et emporté, détaché et haineux. J'ignore si nous avons tous une telle bête au fond de nous, mais ça donne à réfléchir.



Quels éléments un rôliste pourrait-il tirer d’un tel livre pour ses usages ludiques ?
MJ et joueurs trouveront dans ce livre des manières de rendre les combats tendus, incertains, éprouvants pour les nerfs. Les adversaires sont furtifs, parfois juste entraperçus ; ils sont intelligents, préparés ; ils ont étudié les tactiques des PJ pour mieux les contrer.
Pour des jeux d’ambiance « moderne », MJ et joueurs comprendront que les idées qu’ils se font sur le combat aux armes à feu sont généralement fausses. A la lecture de certains passages du livre, on peut même rester incrédule à l’incroyable débauche de munitions nécessaires pour tuer un seul homme : plusieurs chargeurs de fusils d’assaut, plusieurs bandes de mitrailleuses, des salves d’obus et, pour en finir, un missile antichar !

Je ne connais Warsaw que par les quelques présentations que j’en ai lues ici et là. Mais ce que j’entrevois de son ambiance de guerre urbaine me laisse penser que ce Fallouja ! pourra être utile aux pratiquants de ce jeu, avec ses fantassins états-uniens très entraînés et surarmés affrontant des moudjahidin fanatisés et shootés à l’adrénaline de synthèse, et son décor de ville en ruines.



Plus généralement, MJ et joueurs pourront piocher des idées dans ce livre pour tout jeu dans lequel le combat est géré en prenant en compte la « santé mentale » comme élément primordial. Et c’est l’exemple de Shell Shock, qui me vient immédiatement à l’esprit sur ce plan-là.


mercredi 23 février 2011

Des ninja, mais dans le titre seulement


Je suis, ces temps-ci, en pleine immersion dans la lecture de Tenga. Alors, en voyant, dans le catalogue des éditions Philippe Picquier, deux volumes intitulés Les manuscrits ninja et portant un nom d’auteur japonais, Yamada Futarô, je me suis dit que, vu le sérieux de cette maison d’édition, je pouvais me risquer sur ce terrain parfois glissant. Parce que, du mauvais roman, du mauvais film, ou du mauvais article dans des journaux ou sur le net, c’est assez facile à trouver avec « ninja » comme mot-clé, et je n’avais pas vraiment envie de me lancer à l’aveuglette. J’ai donc fait confiance au nom de l’éditeur (comme quoi, il m’en faut parfois peu !), et j’ai acheté ces deux romans : Les sept lances d’Aizu (tome 1 ; 2010, ISBN 2-8097-0170-8) et Les sept guerrières d’Hori (tome 2 ; 2010, ISBN 2-8097-0195-1).



Bien m’en a pris, car cette double lecture s’est révélée agréable. Je vais tout de même évacuer, dès à présent la question des « ninja » : s’ils apparaissent bien dans le titre, ne les cherchez pas dans le livre, ils n’y sont pas. En tout cas, ils n’y sont pas sous la forme rendue classique de ces combattants en combinaison noire les couvrant de la tête aux pieds et maniant un sabre droit et mille et un gadgets, des étoiles de lancer aux grenades fumigènes en passant par les fioles de poison. Dans ces romans, pas de ninja de ce genre. Si c’est ce que vous cherchez, passez votre chemin, vous ne pourriez qu’être déçu.
Si, en revanche, vous avez envie d’être emporté dans une lecture mêlant assez habilement sentiments et action, et mettant en scène des personnages bien trempés – au point d’en être un peu caricaturaux, comme dans les romans-feuilletons d’aventure – alors laissez-vous tenter. Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit. Un roman d’aventure dont les bases sont posées dès le premier chapitre, dont on se doute de l’issue dès ce même premier chapitre, et dont on sait qu’il sera habité de personnages quelque peu taillés à la serpe, et construit sur une succession d’épisodes denses entrecoupés de rebondissements parfois artificiels.



Dans Les sept lances d’Aizu, le décor est planté rapidement : un méchant seigneur, servi par des fidèles guerriers aussi méchants que lui, s’emparent d’un fief au prétexte de punir une trahison avec l’aval du shogun. Les méchants guerriers, au nombre de sept, massacrent les « traîtres » et leurs épouses, leurs mères, leurs filles... sauf sept d’entre elles, presque miraculeusement sauvées par l’intervention d’une grande dame. Voilà les deux camps en présence :
- d’un côté, ce daimyo et ses sept hommes de main. Chacun des sept est reconnaissable à l’arme qu’il manie avec une diabolique adresse, qui le sabre, qui le fouet, qui la chaîne ;
- de l’autre, ces sept jeunes femmes, que rien n’a préparé à une vie de vengeance par les armes. Elles reçoivent l’aide d’un moine zen et, surtout, d’un mystérieux maître du sabre qui va les former, les conseiller, leur apprendre la patience et la prudence.
Les deux tomes narrent cette vengeance, où ruses et contre-ruses sont souvent plus utiles que la force brute. Le lecteur avisé se doute, bien sûr, des grandes lignes de l’issue de l’histoire, mais il n’est pas difficile de se laisser porter par le récit, jusqu’à l’affrontement final. Les situations sont variées, la galerie des personnages de premier et de second plan est assez savoureuse (même si je regrette que chacune des sept jeunes femmes ne soit pas mieux mise en valeur, mieux différenciée des autres). Attention tout de même, ces romans ne sont pas destinées à un jeune public, certaines des perversions dont souffre le « méchant » daimyo et certaines personnes de son entourage ne sont pas très ragoûtantes.

Certes, il n’y a rien de bien nouveau sous le soleil avec une telle histoire de vengeance, ni dans l’apprentissage du fait que lorsqu’on doit affronter des adversaires plus « forts » que soi, il vaut mieux les affronter un par un (le dernier des trois Horaces n’a pas agi autrement en affrontant les trois Curiaces). Rien de bien nouveau, non plus, dans la gémellité du bien et du mal. Mais le traitement de l’ensemble, à défaut d’être très original, est, à tout le moins, plaisant. Et ces romans constituent une inspiration fort pratique pour un auteur de scénario de jeu de rôle. Surtout s’il s’agit d’un JdR d’ambiance plus ou moins directement japonaise, du désormais classique Livre des cinq anneaux au malheureusement sous-estimé Usagi Yojimbo, en passant par le tout récemment publié Tenga.
Même si l’action des romans se déroule en 1642, une cinquantaine d’années, donc, après la période couverte par Tenga, l’action est transposable sans souci à l’univers du jeu (ou, disons, ma maigre connaissance des particularités de ces deux périodes m’amène à penser que l’action est transposable de l’une à l’autre sans souci). Et chaque scénariste pourra doser, à son gré, la touche de surnaturel à instiller dans cette aventure.

Si vos joueurs sont allergiques ou imperméables à l’ambiance kimono-katana, pas de panique ! Le thème de la vengeance nourrie de patience et de ruse est suffisamment universel pour que vous trouviez moyen de le transposer à un environnement différent. Néanmoins, gardez présent à l’esprit qu’une telle vengeance est plus difficile (et donc, à mon sens, plus intéressante à mettre en œuvre) si le « niveau technologique » de l’univers de jeu ne permet pas de tuer les adversaires à longue distance, ou si certains codes de conduite obligent les vengeurs à tuer leurs cibles en voyant le blanc de leurs yeux.

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mardi 1 février 2011

La foire d’empoigne

 
Puisque je l’ai récemment promis, c’est sans attendre que je vais vous présenter une autre inspiration que j’ai trouvée, il y a bien des années, dans l'œuvre d’Ellis Peters, avec son roman La foire de Saint-Pierre (Saint Peter's Fair), paru en 1981, et son adaptation pour la série télévisée britannique pour ITV Cadfael, (13 épisodes en 4 saisons, aux premières diffusions entre 1994 et 1998), dont il constitue le 2e épisode de la 3e saison, réalisé par Herbert Wise.



Ce roman a pour contexte la même période troublée qu’Un cadavre de trop, autre roman d’Ellis Peters, objet de mon précédent billet : la guerre civile entre Stephen et Maud pour s’asseoir sur le trône du défunt Henry I d’Angleterre. L’aventure s’ouvre sur la foire de Saint-Pierre, un des saints patrons de l’abbaye de Shrewsbury, le monastère qui est au cœur de toute la série de ces romans du frère Cadfael. Comme toutes les foires médiévales, cette foire de Saint-Pierre est un moment économique fort de l’année ; mais, en cette période de guerre, les marchands venus commercer ne sont pas très enclins à contribuer financièrement, par des taxes commerciales, à l’effort de reconstruction des murailles de Shrewsbury.



Mais quand, après une rixe entre marchands forains et locaux, un commerçant de Bristol est retrouvé mort et que le fils du prévôt de la ville est le premier suspect de son meurtre, l’affaire devient plus grave. Et frère Cadfael doit mener l’enquête, bien sûr ! Et quand un deuxième marchand est tué, l’intrigue prend une nouvelle tournure, plus complexe.
Car si la foire est une occasion de mener des affaires commerciales, elle est aussi propice aux rencontres entre des gens qui ont d’autres affaires à mener, plus politiques. Entre l’espion d’un prince gallois qui voudrait trouver des informateurs de ce côté-ci de la frontière, les envoyés de l'impératrice Maud cherchant à négocier des soutiens de seigneurs locaux, et les agents de Stephen tenant absolument à mettre la main sur une liste de prétendus soutiens du roi qui sont, en réalité, des partisans de Maud, le chassé-croisé est sournois et sans pitié.



Autant dire que, là encore, c’est une intrigue presque clé en main que ce roman offre aux rôlistes. Le cadre de départ est assez simple à mettre en place, avec cette foire et ces tensions entre marchands locaux et forains, et il offre la possibilité d’impliquer dans l’aventure des PJ qui relèvent d’archétypes parfois sous-employés en JdR : par exemple, un marchand ventripotent sans aucun don pour le combat, un moine qui ne soit pas obligatoirement un vétéran des croisades, etc. Il ne reste qu’à glisser, au milieu des marchands, les intrigants des différentes factions, sous leurs diverses couvertures correspondant aux possibilités de l’univers d’adaptation (négociants, colporteurs, mariniers, charretiers, nobles en pèlerinage, etc.).
Suivant la profondeur que le scénariste souhaite donner à l’intrigue et, bien sûr, en fonction de l’univers du jeu, il doit doser le rang des chefs des factions impliquées qui tirent les ficelles dans l’ombre. Dans le roman, il s’agit ni plus ni moins que des deux prétendants au trône du roi d’Angleterre. Mais, dans un autre genre d’univers, il peut s’agir des services secrets de deux pays en guerre froide, de chefs de gangs urbains ennemis, ou encore de caciques de tribus rivales.

Voilà du prêt-à-cuisiner. Le roman fournit la recette, et il ne reste au scénariste qu’à en adapter les ingrédients à la gastronomie de son univers préféré, à en doser les épices, et à déguster l’ensemble avec les convives de son choix.

lundi 31 janvier 2011

Le compte n’est pas bon

 
J’ai mis en avant Les piliers de la terre de Ken Follett dans mon précédent billet, en signalant, entre autres, le contexte historique dans lequel le roman se déroule. Celui de cette guerre de succession entre Stephen et Maud pour s’asseoir sur le trône du défunt roi Henry I. Or, il se trouve que cette période est aussi celle de la toile de fond d’une série de « romans policiers historiques » ayant acquis de la notoriété tant en livres qu’en adaptation télévisuelle : les polars médiévaux d’Ellis Peters mettant en scène le frère Cadfael (21 romans, parus de 1977 à 1994, et couvrant la période 1137-1145), et la série télévisée britannique pour ITV (13 épisodes en 4 saisons, aux premières diffusions entre 1994 et 1998).



Cette série est ancrée dans la région de Shrewsbury, une ville du comté de Shropshire, près de la frontière galloise. Le frère Cadfael est le personnage central des romans et, autour de lui, l’abbaye bénédictine de Saint-Pierre et Saint-Paul. Le pouvoir royal y est représenté par l’intermédiaire du sheriff (le bailli, en quelque sorte), dans une fonction bien difficile à exercer lorsque le pouvoir royal est fragile et que le sheriff a juré allégeance à Stephen. Quant au peuple de la région, il est composé de Normands (surtout pour la noblesse « anglaise »), de Saxons (principalement le « petit peuple ») et aussi de voisins gallois. Un contexte propice aux intrigues « policières », que ce soit des trafiques de reliques, des disputes cadastrales, ou encore des affaires politiques en marge de la guerre civile.
Je n’encenserai pas chacun des romans de la série. J’en ai lu une très grande majorité, et mon intérêt a été inégalement soulevé. Certains m’ont laissé l’impression tiède que me laissent les romans à énigme résolue par de vieilles Anglaises devant une tasse de thé (je sais, je caricature, mais au moins, ça dit clairement mon ressenti). D’autres, au contraire, m’ont nettement plus accroché à l’intrigue. A bien y réfléchir, les romans de la série qui m’ont le moins emballés étaient ceux tournant autour d’affaires familiales, domestiques, tant que les romans apportant une touche plus politique à l’intrigue m’ont davantage plu.

Deux de ces romans qui m’ont plu m’avaient inspiré des adaptations pour du JdR :
- Un cadavre de trop (One Corpse Too Many) (paru en 1979) (l'épisode se passe en août 1138), adapté pour la télévision (saison 1, épisode 1, réalisation de Graham Theakston)
- et la Foire de Saint-Pierre (Saint Peter's Fair) (paru en 1981) (l'épisode se passe en juillet 1139), adapté, lui aussi, pour la télévision (saison 3, épisode 2 ; réalisé par Herbert Wise). Je reviendrai sur ce roman dans un prochain billet.



Le roman Un cadavre de trop, s’appuie sur un événement réel : le siège et la prise du château de Shrewsbury par les troupes du roi Stephen, et l’exécution par pendaison de tous les survivants de la garnison. Ellis Peters y ajoute son grain de sel : entre le moment où les vaincus sont pendus et celui où leurs corps sont rassemblés pour être mis en terre, le nombre des morts a augmenté, il y a... un cadavre de trop !

Pour la petite histoire, dans la vue d’ensemble des cadavres des défenseurs de la garnison pendus aux murailles par les hommes du roi Stephen, dans l’épisode télévisé, le frère Cadfael compte à voix haute 95 cadavres, mais un spectateur maniaque des détails a compté qu’il n’y en a que 85 (source IMDB).

Une énigme que Cadfael devra résoudre, car ce mort de trop est le frère d’une amie d’un ami du moine-détective (vous suivez ?). Derrière ce mort qui fausse les comptes de cadavre, se cache une double histoire : d’une part, la convoitise pour le « trésor » que certains défenseurs auraient réussi à exfiltrer de Shrewsbury avant la chute du château, et d’autre part la trahison d’un chevalier de la garnison qui avait secrètement négocié la chute du château contre sa vie sauve.

Il y a là une double intrigue toute prête à une adaptation en scénario de JdR : un château assiégé puis pris, un trésor escamoté, une trahison, des éléments classiques sur lesquels un MJ en mal d’inspiration ne crachera pas trop vite.
Une difficulté réside toutefois dans la façon d’introduire l’aventure, et plus particulièrement ce cadavre de trop. Parce que dans une ambiance de guerre, dans cet étrange clame qui suit le massacre d’un garnison vaincue, comment arriver à se soucier qu’il y a un cadavre de plus, au milieu de dizaines d’autres cadavres ? Dans le roman, c’est la générosité de cœur de Cadfael qui le fait entrer dans l’aventure, pour aider l’amie d’un ami. Mais, pour une partie de JdR, la générosité de cœur n’est pas toujours le moteur le plus immédiat pour mettre en branle un groupe de PJ. Il conviendra donc de trouver une raison assez personnelle pour impliquer au moins l’un des PJ : un lien de parenté avec le cadavre de trop, un ancien serment de fidélité ou d’amour, une dette ou une créance, ou encore, pourquoi pas, l’envie de savoir pourquoi quelqu’un a privé le PJ de se venger de cet homme en lui tuant le premier.
Une autre difficulté est de bien adapter le mode d’exécution des membres de la garnison au contexte de l’univers du jeu en question. Dans le roman, les prisonniers sont pendus parce que c’est le mode de mise à mort en usage dans cette Angleterre du XIIe siècle ; dans d’autres univers, on crucifie, on décapite, on fusille. Il ne faut pas oublier d’en tenir compte lorsqu’il s’agit de glisser le « cadavre de trop » parmi les autres, tout en faisant en sorte (pour que l’aventure puisse s’enclencher) qu’il soit identifiable.

Les univers « antiques » ou « médiévaux », teintés ou pas de « fantastique », exotiques ou pas, peuvent se prêter dans grand mal à l’adaptation de ce roman. Des univers plus avancés technologiquement aussi, puisque les ressorts de l’intrigue (la cupidité, la trahison, la lâcheté) sont intemporels. De mon côté, mes réflexions m’ont porté à des adaptations pour Le livre des cinq anneaux et pour Te Deum pour un massacre.



Voici, à titre d’exemple, le résumé de l’intrigue pour le scénario Te Deum pour un massacre, que j’avais intitulé sans grande originalité « Le compte n’y est pas » (que j’aurais pu pousser plus loin avec un jeu de mots vers « Le comte n’y est pas ») :
Automne 1562. Après un court siège, la ville de Montrouge, place huguenote (fictive) de Guyenne, vient de tomber aux mains des troupes catholiques du terrible Blaise de Monluc. Celui-ci, enragé par la résistance de la ville, fait exécuter les derniers survivants de la garnison. Mais, au moment de mettre les cadavres en terre, il apparaît qu’il y en a un de trop.
En fait, en échange d’une promesse d’avoir la vie sauve, un des assiégés a trahi ses compagnons d’armes : il a livré à un capitaine catholique, Pierre de Saint-Severo, des informations sur le trésor de guerre des chefs huguenots. Saint-Severo veut utiliser ces informations à son seul profit ; il piège et tue un des « courriers » qui devaient évacuer le « trésor ». Il mêle ensuite son cadavre à ceux des soldats exécutés.
Commence alors une chasse au trésor, entre pillards catholiques et fuyards huguenots.



L’écriture plus détaillée du scénario a été basée sur l’intrigue du roman d’Ellis Peters, et elle s’est nourrie, pour le cadre historique et géographique, de mon envie d’écrire une aventure dans une région qui m’est chère, le Sud-Ouest de la France. Et puisqu’il fallait trouver un chef de guerre sanguinaire capable de massacrer une garnison vaincue, qui pouvais-je trouver de mieux adapté que Blaise de Montluc ? Sa chevauchée sanglante de 1562, que j’avais découverte à la lecture du livre de Jacques Dubourg, Les guerres de religion dans le Sud-Ouest (éditions Sud Ouest, 1992, ISBN 2-87901-050-0), m’a paru fournir un arrière-plan adéquat. Je n’avais, au moment de cette adaptation, consulté aucune édition des Commentaires de Monluc, et je m’en étais fait une idée au travers d’analyses et citations parues dans d’autres ouvrages. Divers autres livres sur l’histoire et la géographie du Sud-Ouest m’avaient fourni de quoi peaufiner le décor.

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dimanche 30 janvier 2011

Piliers de rôle

 
Je profite de la récente diffusion sur Canal + et de la sortie en DVD de la série The Pillars of the Earth / Les piliers de la terre, réalisée par Sergio Mimica-Gezzan et adaptée du roman éponyme de Ken Follett, pour relancer ce blog que j’ai délaissé depuis un long moment.



J’avais découvert le roman lors de sa publication en français, voici une vingtaine d’années, et je l’ai relu, depuis, à plusieurs reprises, toujours avec plaisir. Certes, ce n’est pas de la grande littérature, mais ce n’est pas pour autant du roman de troisième zone, et le récit, riche et fouillé, est mené à bon train. Certains rétorqueront peut-être, et j’aurais du mal à les contredire, que l’auteur semble, par moments, servir plusieurs fois le même plat, sous des sauces différentes.



Ceux qui penchent pour le verre à moitié vide crieront à l’arnaque, au remplissage. Ceux qui penchent pour le verre à moitié plein – et j’en suis – y verront au contraire l’illustration des vers de Boileau « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage / Polissez-le sans cesse, et le repolissez » : les protagonistes des Piliers de la terre poursuivent des buts qui les mènent sur des chemins semés d’embûches ; demain détruira ce qu’ils ont bâti aujourd’hui, et ils entreprendront, après-demain, de relever les ruines. Jusqu’à ce que ça passe, ou que ça casse. Jusqu’aux tours de la cathédrale ou jusqu’à la potence.


Cela dit, je ne vous oblige à apprécier ni le roman, ni la série. Et je vais me contenter d’expliquer en quoi je trouve que l’un et l’autre peuvent être des inspirations profitables pour une campagne de JdR de plus ou moins grande envergure. Je n’ai pas profondément creusé mes réflexions, et je ne vais donc exposer que quelques axes qui semblent se dessiner. Ces axes se sont dessinés lorsque je me suis demandé le genre d’aventures que je pourrai bien cogiter lorsque j’aurai enfin un exemplaire de Tenga entre les mains. Je n’ai aucune prétention à être un fin connaisseur de ce Japon mouvementé, mais ce n’est certainement pas ce qui va m’arrêter dans mon envie de me frotter à ce jeu. Et comme le compère Brand m’incite (et m’invite) à me joindre à la dynamique de ce jeu...



Pourquoi des premières cogitations de passerelles entre Les piliers de la Terre et Tenga alors que je n’ai pas encore le jeu entre les mains ? Parce que Brand a eu la sympathie de répondre de nombreuses questions sur le jeu pendant une grande partie de la phase de conception et de formalisation, de publier une profession de foi de ce jeu qui me semble bien claire, et parce que j’ai eu l’occasion d’en discuter avec lui également. Et parce que, de mon côté, je me suis un peu documenté sur cette période trouble du Japon. C’est à partir de ce faisceau d’indices que j’ai commencé à cogiter.

Le premier élément est le contexte historique. Dans Les piliers de la terre, il s’agit de la guerre civile qui éclate en 1135 entre les deux prétendants au trône d’Angleterre à la mort de Henry I, d’une part Stephen/ Etienne de Blois, petit-fils de Guillaume le Conquérant et d’autre Maud/Mathilde, fils de Henry I.
Ce contexte global de guerre civile, d’alliances qui se font et se défont, d’incertitudes pour les grands seigneurs sur l’opportunité à rallier tel camp plutôt qu’un autre, n’est pas très éloigné de celui de Tenga. Quant à la neutralité, elle est un choix bien dangereux : car ceux qui ont pris parti trouveront toujours les « neutres » trop tièdes ou trop tardifs à se décider.
Et il est fort probable que l’on trouve des similitudes dans les malheurs du peuple, qu’il soit anglais ou japonais, lorsque les récoltes sont dévastées, les villages incendiés, les lieux religieux profanés. Dans une guerre civile, il n’y a jamais de « bon camp » pour le peuple.



Le roman et la série tissent, devant cette toile de fond de guerre civile, un contexte local particulier, où s’affrontent les ambitions des tenants des trois « ordres » : la noblesse, le clergé et les noyaux urbains. Ainsi, mettre la main sur les recettes d’une foire aux toisons de laine est un enjeu fort entre ces différents pouvoirs. Mais ces pouvoirs ne sont pas monolithiques. Ainsi la noblesse et le clergé sont-ils coupés par les fractures entre le parti de Stephen et le parti de Maud ; obtenir un comté ou le droit d’exploitation d’une carrière ou d’une forêt dépend du bon vouloir du souverain du moment. Par ailleurs, au sein du monastère, devenir prieur, c’est accéder au sommet de la hiérarchie de la communauté ; et certains peuvent se sentir prêts à toutes les compromissions, avec le pouvoir religieux ou avec le pouvoir séculier, pour gravir jusqu’au sommet. Et l’évêque, lui-même, se soucie parfois plus de son pouvoir temporel et des richesses qu’il procure, que du service du Tout-Puissant et du salut des âmes de ses ouailles. Les villes, enfin, cherchent à trouver leur place entre ses différents pouvoirs.


Jusque-là, me direz-vous peut-être, rien que de très classique finalement, et adaptable à bien des jeux de rôles. Alors pourquoi cela m’a-t-il fait penser plus à Tenga qu’à un autre jeu ? Parce que Tenga tourne beaucoup autour du destin des personnages, de leurs ambitions. De ce qu’ils souhaitent qu’il leur arrive, et de ce qu’il leur arrivera vraiment. Or, les protagonistes des Piliers de la terre sont justement portés par leurs ambitions et leurs destins personnels. Le maître bâtisseur veut construire une cathédrale par amour de cet art, le prieur veut avoir « sa » cathédrale peut-être par orgueil, le noble veut avoir « son » comté par appétit, les enfants d'un autre noble injustement déchu ont juré de reprendre le fief confisqué à leur père, l'évêque rêve de l'archevêché et de la pourpre cardinalice. Certains mourront avant d’avoir atteint leur but, d’autres verront leur souhait devenir réalité. Mais, dans tous les cas, ce sont les moteurs de leurs décisions, de leurs actions, ce qui les pousse à se relever lorsqu’ils sont tombés. Et je me dis que ça, ça pourrait bien correspondre à l’esprit sur lequel Brand a bâti Tenga (sa cathédrale à lui, qu’il peut voir enfin terminée !).

Voilà les premières pistes de réflexion qui m’amènent à penser que Les piliers de la terre sont un terreau propice à y semer les graines d’une « petite » campagne pour Tenga, dans des aventures mêlant histoires personnelles et arrière-plans historiques, moments intimes et moments de bravoure, etc.