samedi 27 mars 2010

Jeux connus ou méconnus : je vous aiguille vers le GROG

Dans la plupart de mes billets, je cite des jeux de rôles auxquels le roman, le film, la BD, dont je traite peut être plus ou moins facilement adapté(e). Mes goûts en matière de jeu de rôles étant étroits et les jeux auxquels je pense en premier lieu pour une adaptation n'étant pas toujours des plus récent, il m'arrive de citer des jeux peu courus et, j'en suis bien conscients, probablement pas du tout pratiqués aujourd'hui. Néanmoins, je continuerai à citer des jeux méconnus ou peu utilisés, tout en faisant un effort pour aiguiller les lecteurs vers des jeux plus récents qui utilisent le même genre d'univers.
Pour faciliter l'information des lecteurs sur les jeux, connus ou moins connus, cités dans mes billets, sans me sentir obligé d'en donner ici des présentations détaillées, je donnerai, pour chaque jeu cité, le lien vers sa fiche sur le site du GROG (pour autant que le jeu soit fiché). Et je vais, de ce pas, compléter les billets déjà publiés pour apporter ces compléments d'information.

Pour le cas où le jeu ne serait pas fiché sur le GROG, j'essaierai de donner un lien vers une page offrant tout de même une présentation du jeu, mais sans assurer que ladite page sera francophone (j'en présente par avance mes excuses aux lecteurs de ce blog qui ne seraient ni anglophones ni hispanophones).

Chasse au trésor

Difficile de prétendre que la chasse au trésor n'est pas un des passe-temps favoris des personnages de jeu de rôles, qu'il faille assembler les bouts de la carte dressée de la main même du plus fameux pirates des sept mers (les pirates sont célèbres pour leur audace, leur cruauté, et leur faible mémoire), qu'il faille interpréter les indices d'énigmes pluriséculaires ayant résisté jusque là aux esprits les plus éclairés (fort heureusement, les PJ arrivent et vont « craquer » ces codes !) avant de trouver la cache au trésor, ou qu'il faille arracher le coffre plein de pierres précieuses au dragon immortel (enfin, immortel jusqu'à ce qu'un PJ le tue de son épée tueuse de dragon) qui le garde depuis que le monde est monde.

Et c'est à ce classique ressort d'aventure que je vais consacrer ce billet-ci. L'inspiration de cette chasse au trésor est un roman d'aventures maritimes à l'époque napoléonienne, mais elle est facilement adaptable à des univers très variés et c'est ce qui m'a guidé dans ma décision de retenir ce roman plutôt qu'un autre. Trésor de guerre (Hornblower and the Atropos, 1953) est né de la plume de C. S. Forester et fait partie de la série dans laquelle cet auteur met en scène Horatio Hornblower, que le lecteur voit évoluer, au fil des romans [*], d'aspirant de marine à contre-amiral de la Royal Navy.
La première partie de ce Trésor de guerre ne colle pas trop au titre en français, puisqu'il s'agit de l'organisation et de la tenue des funérailles de lord Nelson, tué à la bataille de Trafalgar (1805). Je ne prétends que ça ne puisse pas servir d'inspiration pour un épisode de JdR, mais je vais plutôt m'attarder sur la suite du roman qui, elle, est pleinement inscrite dans le registre « chasse au trésor ». Hornblower, à qui la Royal Navy a confié le commandement du HMS Atropos, un sloop de guerre de 22 canons, reçoit des ordres qui vont lui faire vivre une aventure bien plus palpitante que celle de conduire Nelson à sa dernière demeure. Il doit en effet se rendre sur la côte sud-ouest de la Turquie, dans la baie de Marmaris : un navire anglais qui transportait une fortune en or et argent (notamment pour la solde de l'armée britannique en Égypte) a fait naufrage dans la baie de Marmaris, et il faut absolument récupérer la cargaison dans l'épave avant que les Turcs ne mettent eux-mêmes la main dessus.



Divers éléments de l'aventure font qu'elle se prête bien à une adaptation en JdR, soit dans un univers comparable à celui du roman (un univers rôlistique « historique » du temps de la marine à voile), soit dans un univers complètement différent, qu'il soit médiéval fantastique, contemporain ou encore de science-fiction :
  • je l'ai écrit en préambule, la chasse au trésor est un ressort qui « marche » bien dans le JdR ;
  • si les indications sur le site du naufrage sont imprécises, voire inexactes (par exemple parce que les souvenirs des rares survivants du naufrage sont flous ou contradictoires), la phase de recherche peut stimuler l'imagination et l'inventivité des PJ (et donc celle des joueurs) ;
  • comme le trésor est englouti, il faut déployer des moyens permettant d'intervenir sous l'eau. Dans le roman, il est fait usage de plongeurs cinghalais, spécialistes de la pêche des perles (décidément bien loin de leurs eaux tropicales, sur cette côte turque). Mais bien d'autres pistes peuvent être envisagées, suivant l'univers d'adaptation, comme des cloches de plongée, des mini-sous-marins, voire des moyens magiques ;
  • pour ceux qui seraient allergiques à l'eau, ce « trésor englouti » peut être remplacé par un « trésor perdu en milieu hostile ». L'engin sous-marin peut alors laisser la place au scaphandre spatial, à la combinaison NBC, etc. ;
  • les rivalités à bord du navire pimentent le voyage qui, sans cela, pourrait sombrer l'ennui, qui est le risque majeur des longs déplacements maritimes (ou spatiaux) en JdR ;
  • les habitants de la côte devant laquelle la recherche et la fouille de l'épave engloutie ont lieu vont rapidement se demander à quoi rime cette agitation (il est difficile de rester discret, dans de telles opérations). L'opération de récupération du « trésor » est donc une course contre la montre, pour ne pas se retrouver en infériorité numérique face aux « locaux » qui peuvent avoir rameuté les autorités, des troupes, etc. ;
  • l'aventure propose des scènes qui relèvent d'ambiances variées, de la diplomatie au combat naval, en passant par la mise en œuvre de l'ingéniosité technique.

Le jeu de rôles dont l'esprit est le plus proche de celui de ce roman Trésor de guerre est Privateers and Gentlemen, puisque ce jeu était directement destiné à incarner des officiers de la marine (les gentlemen) ou des corsaires (les privateers) du temps de l'âge d'or de la marine à voile, et donc particulièrement à l'époque napoléonienne. Mais force est de reconnaître que ce jeu, remontant à 1982, est plutôt relégué, aujourd'hui, au rang des curiosités. Toutefois, un jeu actuel comme Pavillon Noir se prête sans souci à une adaptation à peu près directe, en déplaçant l'intrigue dans le temps (le cœur de la période de Pavillon Noir est le début du XVIIIe siècle). D'autres jeux où la composante navale est présente s'y prêtent aussi dans les jeux d'aujourd'hui (Pirates of the Spanish Main, par exemple) ou dans les jeux plus anciens (Run out the guns, Piratas, etc.).
Cependant, la trame est suffisamment générique pour être réutilisée dans des univers très différents, et donc pour des jeux très différents. Pour ma part, je l'ai assez souvent adaptée, de la Rome antique (avec Gurps Imperial Rome) aux lointains horizons de l'amas de Gion (avec Empire Galactique), en passant par la mer Rouge des récits de Henri de Monfreid (avec Daredevils en son temps ou Arkeos plus récemment), la guerre de Sécession américaine (avec Gurps Western), le Vieux Monde (Warhammer) et d'autres encore.

Quand la recette est bonne, autant ne pas se priver de l'adapter aux ingrédients dont on dispose et aux invités à qui on va la servir.

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[*] L'ordre de parution des romans de la série Hornblower, écrits de 1937 à 1967, ne correspond pas à un ordre chronologique des aventures de ce héros. Toutefois, certains recueils de parution plus récente (en particulier dans les traductions françaises) présentent les aventures dans l'ordre chronologie de la vie de Hornblower.

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mercredi 17 mars 2010

L'anatomie de l'histoire

Je n'ai jamais vraiment potassé la théorie de l'écriture de scénarios, en termes de structure (en actes/scènes ou pas), en termes d'arc de récit, etc.

Mais en feuilletant le blog d'Éric Nieudan, que je « connais » par son travail sur le jeu de rôle Lanfeust de Troy et pour l'avoir croisé quelques minutes lors d'un Monde du jeu à Paris il y a une demi-douzaine d'années, je suis tombé sur un article où il parle du roman Les piliers de la Terre de Ken Follett et dans lequel il fait une allusion à Robert McKee avec un lien qui m'a conduit vers un autre blog où j'ai vu des références à John Truby et à son livre The anatomy of story (plusieurs éditions ; par exemple Faber & Faber, 2008, ISBN 978-0865479937). Or il se trouve que j'ai récemment aperçu en librairie le livre Anatomie du scénario (Nouveau Monde Editions, 2010, ISBN 978-2847364903), de ce même John Trudy, et dont je pense qu'il s'agit de la version française de The anatomy of story.

J'ai tendance à me méfier d'une présentation de livre quand elle est directement due à la plume de l'éditeur du livre en question. Mais celle-ci attire tout de même ma curiosité :


Parmi les nombreux essais et manuels d'écriture, L'Anatomie du scénario est une référence incontournable pour les scénaristes débutants et confirmés. John Truby entend mettre fin au dogme de la structure en trois actes qu'il juge artificielle. Il préconise les intrigues à multiples facettes, les réseaux de personnages et le mélange des genres. Il invite à tordre les règles qui régissent l'écriture de scénarios afin d'écrire des histoires originales qui doivent être abordées comme des organismes vivants, aussi changeants et complexes que ceux qui les imaginent. Les préceptes développés dans ce livre complètent plus qu'ils ne concurrencent les ouvrages d'autres théoriciens de la dramaturgie. Ils exposent les bases d'une formation continue aussi populaire en France qu'aux États-Unis où elle a été mise en place il y a trente ans. Cette Anatomie du scénario est issue d'un long travail d'analyse de centaines de films, de pièces de théâtre, de nouvelles et de romans, allant d'Ulysse de Joyce à La Guerre des étoiles en passant par Tootsie. Concret, pratique sans être simpliste, cet ouvrage s'impose comme la bible du scénariste.

Si quelque lectrice ou lecteur a déjà mis son nez dans The anatomy of story ou dans L'anatomie du scénario, je suis preneur de tout retour. A votre bon cœur, M'sieursdames. De toute manière, il n'est pas impossible du tout que je finisse par acheter l'un ou l'autre.

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dimanche 14 mars 2010

Inspirations croisées : "roman + BD = scénario"

Mi-2009, à l'occasion d'un appel à texte pour le webzine de la Voix de Rokugan, consacré au jeu Le livre des 5 anneaux, je m'engage à fournir un texte pour le numéro thématique sur le cheval.


Je n'ai pas d'idée très établie, en me proposant d'écrire un scénario, mais je trouve intéressant de me creuser un peu la tête pour tisser une aventure autour du cheval dans un monde où cet animal n'est quand même pas au cœur des préoccupations, à part pour un clan comme celui de la Licorne où il est, tout au contraire, un élément central.
Bon, me voilà donc avec le thème « cheval » sous la main, et un univers « japonisant » dont je ne suis pas un grand spécialiste. Il ne me reste plus qu'à trouver, dans mes souvenirs de lecture ou de cinéma, des éléments qui pourraient servir de squelette sur lequel apporter une chair « rokugani » pour aboutir à un scénario destiné à publication.
Le roman de P. F. Chisholm Les sept cavaliers, dont j'ai déjà parlé, s'impose alors à moi comme une première évidence, puisqu'un des axes du roman est constitué par le cheval, élément stratégique de la vie de ces Borders Reivers, de leurs luttes locales et plus lointaines. Pourtant, je n'arrive pas à voir comment transposer l'intégralité des trois axes du roman (le clan raflant tous les chevaux de la région pour mener un raid en profondeur, le meurtre du fils du chef du clan dans une affaire d'amours contrariées, et la déliquescence d'un poste-frontière sous l'influence de la corruption) dans un scénario rokugani. C'est surtout cet aspect du projet de raid lointain qui coinçait.
Et je comprends bien que m'entêter à poursuivre dans cette voie ne débouchera sur rien de bon. Je change donc mon mousquet d'épaule, abandonnant l'aspect « raid lointain », pour voir quels autres éléments je pourrais intégrer à mon histoire. Et c'est ainsi que je me souviens du tome 5, Alda, de la série de BD Les tours de Bois-Maury de Hermann, dont j'ai parlé précédemment, avec ce vieux seigneur devenu la marionnette d'une jeune femme dont les ardeurs l'aveuglent. Je commence à entrevoir la possibilité de mêler des bouts de l'une et de l'autre trame pour en faire un unique scénario.

Le squelette de la trame se dessine :
  • acte I : je vais emprunter aux Sept cavaliers ce qui est relatif au poste-frontière affecté par l'incurie et la corruption, pour installer l'ambiance, et confronter les PJ à deux types de tensions : les tensions entre deux clans de part et d'autre de la frontière, et les tensions internes à leur propre clan ;
  • acte II : je vais piocher également dans Les sept cavaliers les scènes de mise en action (les raids frontaliers) et le cadavre « encombrant » (celui du fils du chef du clan « d'en face »). Cela fournira aux joueurs des occasions de faire briller les valeurs combattantes de leurs personnages, et au MJ de mettre les PJ en situation de participer à l'arbitrage entre deux types de réactions possibles de la part de leur garnison (diplomatie ou représailles ?) ;
  • acte III : c'est là qu'Alda va venir à ma rescousse, avec le vieux chef de clan soumis à l'influence de son ardente maîtresse. Cet acte poussera les PJ à se creuser la cervelle pour découvrir le pot aux roses, à négocier une alliance entre des représentants de deux clans pour unir les forces nécessaires à vaincre les brigands et, ne le nions pas, se faire plaisir avec le combat final !

Voilà, j'ai mon squelette de trame, qu'il me reste à habiller avec de la chair typiquement rokugani (ou, tout au moins, que je considère comme typiquement rokugani dans ma médiocre connaissance de cet univers).
  • le thème du cheval, figure imposée pour ce numéro du webzine, me porte à choisir l'un des clans du scénario comme étant celui de la Licorne. Face aux Licornes et à leur « étrangeté » par rapport aux autres clans de Rokugan, j'opte pour un groupe de PJ du clan du Lion. Les Lions sont moins policés que certains autres clans (les Grues ou les Phénix, par exemple), et ils correspondent bien à ma vision de ces terres rudes de la frontière ; en outre, le fait qu'ils ne sont pas spécialement enclins à la diplomatie rendra les scènes de contacts avec les Licornes d'autant plus intéressantes à jouer ;
  • pour apporter du piment à l'aventure, les PJ peuvent être des membres de la garnison de ce poste-frontière ou bien des membres de la suite du samurai qui vient en prendre le commandant en remplacement de l'officier récemment tué. Cela peut offrir des situations de jeu intéressantes au sein du groupe des PJ, entre ceux qui sont déjà dans le système de corruption locale et ceux qui arrivent dans ce territoire avec un regard neuf ;
  • enfin, je fais de la jeune maîtresse du vieux chef Licorne un agent du clan du Scorpion, chargée de maintenir un état de tension entre les Licornes et les Lions dans cette zone frontalière.

Il ne me reste qu'à apporter des détails complémentaires sur les lieux et les personnages de l'aventure, et à formaliser le tout en un texte publiable. Le scénario est finalement paru dans le n°13 (juin-juillet 2009) du fanzine de la Voix de Rokugan, sous le titre « Le vieux cheval » (pages 13 à 18).

Vous pouvez télécharger ce numéro du webzine (et les autres) à partir de cette page-là.

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samedi 13 mars 2010

Histoire de chevaux et d'amours

J'avais acheté le roman Les sept cavaliers (éditions du Masque, collection Labyrinthes, 1999, ISBN 978-2702496688 ; A famine of horses, en VO) de Patricia Finney Chisholm par curiosité. Je voulais découvrir, par le biais de la fiction, un univers que j'avais abordé au travers de quelques livres d'histoire, comme The Border Reivers, de Keith Durham, avec les superbes illustrations d'Angus McBride. J'avais alors profité de la publication du roman en traduction française, n'ayant pas trouvé la version originale dans une libraire proche de chez moi.

(illustration Angus McBride)

Le roman se déroule à la fin du XVIe siècle (en été 1592), dans cette zone frontalière entre Angleterre et Écosse, agitée pendant plus de trois siècles par les querelles entre clans écossais et familles anglaises, et même au sein des clans et des familles. Le personnage central est Sir Robert Carey, jeune noble anglais disposant de quelques appuis à la cour de la reine Elizabeth ; le personnage du roman est directement inspiré du « vrai » Sir Robert Carey, homme d'action et de diplomatie, dont la vie nous est connue grâce aux Mémoires qu'il a écrits.
Le roman présente un premier intérêt que je qualifierais de « documentaire », en ce qu'il met en scène et en images ce territoire au travers de ses habitants, de ses villes comme Carlisle, de ses maisons fortes et de ses landes sauvages. Des gens et des décors immédiatement utilisables dans des jeux de rôles à univers historique comme Te Deum pour un massacre, grâce à ces deux tomes du supplément Les deux reines, ou comme Gurps Swashbucklers.


De l'intrigue du roman, ou plutôt de ses intrigues mêlées, je retiendrai trois lignes directrices :
  • celle qui donne son titre original au roman, la pénurie de chevaux dans cette région frontalière, pénurie qui vient du fait que le clan de Jock Graham et ses clans alliés rassemblent autant de montures qu'ils le peuvent pour tenter de pénétrer loin en territoire écossais, jusqu'à la résidence royale de Falkland Palace à Fife, et y enlever le roi James et en tirer rançon ;
  • celle du meurtre d'un fils de Jock Graham, dont une patrouille frontalière a retrouvé le corps abandonné dans les landes. Compte tenu de la situation très tendue dans les Borders, le meurtre du fils d'un chef de clan prompt aux représailles est une affaire délicate à dénouer. Il s'avérera pourtant que ce meurtre n'a rien de politique ni de stratégique, mais qu'il relève d'affaires privées, sur fond d'amours impossibles entre un jeune homme d'un clan et une jeune femme d'un autre ;
  • celle, plus diffuse au long du roman, de la situation politique et militaire à Carlisle et dans les environs, qui voit les rivalités entre potentats locaux saper l'autorité, et le laisser-aller et la corruption émousser la valeur combattive des hommes d'armes, etc.

Du point de vue rôlistique, ces trois lignes tissées entre elles comme dans le roman peuvent conduire assez facilement à un scénario mêlant considérations « politiques », enquête et action. Il suffit de disposer, pour cela, d'une zone frontalière qui servira de cadre général à l'aventure et, dans cette zone frontalière, d'un poste avancé, de taille adaptée à votre univers de jeu (du fortin à la ville fortifiée), avec une garnison touchée par la routine et la prévarication, et une paix fragile avec des voisins turbulents. Ce peut être une frontière entre deux royaumes de grande taille (comme dans le roman, où il s'agit de la frontière entre Angleterre et Écosse) ; mais cela peut tout aussi bien être une frontière entre deux états de plus petite taille (deux cités-états italiennes de la Renaissance, par exemple), entre deux territoires de « clans » (comme les « clans » de Rokugan dans le Livre des cinq anneaux), entre un état organisé et des territoires plus « tribaux » (par exemple la frontière entre l'empire romain et les territoires germains), etc.
Bâtir un scénario de JdR autour des amours contrariées de deux personnes relevant de groupes se vouant des haines pouvant aller jusqu'à la mort n'est pas insurmontable. Ce qui peut être plus malaisé, en revanche, c'est de mettre concrètement en œuvre ce scénario autour d'une table de jeu, du fait du grand-écart entre l'inimitié des deux groupes, dans laquelle baignent PJ et PNJ et qui conditionne probablement une grande partie de leur manière de réagir, et un sentiment aussi profondément individuel que l'amour. Certes, Shakespeare, entre autres, en a tiré quelque chose de remarquable, mais faire jouer Romeo et Juliette dans les Borders (ou ailleurs) peut se révéler plus casse-gueule, malheureusement. Je crois, toutefois, que l'expérience vaut la peine d'être tentée.


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Bibliographie (anglophone) conseillée pour tirer le meilleur partie d'une adaptation directe de ce roman à Te Deum pour un massacre / Les deux reines :
  • The Border Reivers, de Keith Durham (auteur) et Angus McBride (illustrateur) (éditions Osprey Publishing, collection Men-at-Arms n°279, 1995; ISBN: 978-1855324176)
  • Strongholds of the Border Reivers, Fortifications of the Anglo-Scottish Border 1296–1603, de Keith Durham (auteur) et Graham Turner (illustrateur) (éditions Osprey Publishing, collection Fortress n°70, 2008, ISBN 978-1846031977)
  • The Reivers: The Story of the Border Reivers, d'Alistair Moffat (éditions Birlinn Publishers, 2008, ISBN 978-1841586748)
  • The Steel Bonnets: The Story of the Anglo-Scottish Border Reivers, de George MacDonald Fraser (éditions Skyhorse Publishing, 2008, ISBN 978-1602392656)
  • sites sur les Border Reivers : http://www.borderreivers.co.uk/ et http://www.borderreivers.net/wordpress/

lundi 8 mars 2010

Emprise de charme

La série de bandes dessinées Les tours de Bois-Maury, du très talentueux Hermann, ancrée dans le XIe siècle de notre Histoire, m'a déjà offert quelques inspirations rôlistiques. Certains de ses tomes, comme Le Seldjouki (tome 8) et Khaled (tome 9), se prêtent à une adaptation presque directe à des scénarios « historiques » en Terre Sainte, pour des jeux comme Miles Christi ou Secretum Templi ; j'y reviendrai dans de prochains billets. C'est au tome 5, Alda, que je vais m'intéresser dans ce billet-ci, car le ressort de cette intrigue est suffisamment universel pour pouvoir inspirer des MJ dans des univers très variés.

[Attention, révélation de l'intrigue]
Venant rendre visite à son vieil ami Yvon de Portel, le chevalier Aymar de Bois-Maury se rend compte que le fief de Portel est quasiment à l'abandon. L'épouse et le fils du seigneur ont disparu, et Yvon de Portel, qui a perdu la raison, n'est plus qu'une marionnette dont les fils sont tirés par Guillaumette, son ardente amante, membre d'une bande d'amuseurs-brigands qui ont investi le château. Pris au piège, lui-même, dans ce château devenu souricière, Aymar, avec l'aide de son écuyer, va croiser divers indices et utiliser quelques failles au sein de la bande de brigands pour comprendre ce qui se trame au château et libérer Yvon de cette emprise de luxure.
Dans cet album, Hermann bâtit une histoire relativement simple : une jeune femme fait tourner la tête d'un homme, le coupe de toute sa famille, et est bien décidée à se faire épouser par lui puis à l'éliminer pour bénéficier de sa fortune. Mais il arrive à donner de la profondeur à l'intrigue centrale par quelques intrigues secondaires (par exemple, Yvon a fait mettre son épouse et son fils au secret mais ne s'est pas résolu à les tuer) et par les motivations des personnages eux-mêmes : derrière cette « simple » manipulation, les personnages sont traversés d'amour parfois sincère, de chagrin profond, de jalousie, d'illusions qui se perdront, etc.

Les éléments qui rendent cette histoire intéressante pour un scénario de JdR sont, à mes yeux :
  • la simplicité de l'intrigue, qui permet de la mettre en jeu sans grande difficulté ;
  • la possibilité de la décliner dans la même perspective que dans la BD (un homme manipulé par une femme) ou dans la perspective inverse (une femme manipulée par un homme), ou dans des perspectives différentes si l'univers du jeu s'y prête (la personne manipulée et la personne manipulatrice sont amants de même sexe) ;
  • la possibilité de bâtir un scénario court, qui s'en tienne à l'essentiel de la trame, ou un scénario long incluant des intrigues secondaires, voire d'autres scénarios intercalés entre deux actes de ce scénario-ci ;
  • la capacité à adapter l'adversité au nombre de PJ composant le groupe vivant cette aventure-là. La manipulation reste centrée sur la relation entre deux personnes, mais les brigands de la bande peuvent être plus ou moins nombreux et coriaces suivant l'opposition que le MJ soit mettre en face des PJ ;
  • les modes de résolution variés : une fois que les PJ ont compris ce que trament la manipulatrice et ses complices, libérer le manipulé de l'emprise dans laquelle il est prisonnier peut prendre des formes très différentes selon le type d'univers de jeu. Dans certains cas, là où le système de justice propre à l'univers n'est pas spécialement développé, la subtilité ne sera pas forcément de mise (c'est le cas dans Alda, où la bande est écrasée dans un combat final) ; tandis que dans d'autres cas, il conviendra de trouver des moyens moins meurtriers.

Outre des adaptations directes, j'ai réutilisé cette trame en la mêlant à des éléments empruntés à un roman, Les sept cavaliers de Patricia Finney Chisholm, pour écrire un scénario pour le webzine de la Voix de Rokugan, consacré au jeu Le livre des cinq anneaux. Dans le prochain billet, je présenterai ce roman, et ce qui peut en être tiré pour du JdR, et dans le suivant, j'évoquerai le scénario que j'ai écrit en combinant les inspirations tirées de la BD Alda et du roman Les sept cavaliers.

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dimanche 7 mars 2010

Du roman au scénario de JdR (7) : aller vers une trame générique et redonner une autre chair

Comme je l'ai écrit dans le premier billet de cette série, la lecture des Ombres de Wielstadt amène assez facilement à penser à une adaptation à un jeu de rôles comme Warhammer, avec son kabbaliste trahi, son âme vengeresse, ses goules, ses juges et bourreaux secrets qui ne sont pas sans rappeler les répurgateurs warhammeriens.
Mais, comme je l'ai écrit également, les ressorts de son intrigue sont suffisamment universels pour se prêter à des adaptations dans des ambiances bien différentes de celui-là.


Dépouillons, dépouillons...

Avant de procéder à une adaptation à un autre environnement de jeu, je reprends mon diagramme et mon résumé directement tirés du roman, et je les dépouille de tout ce qui est typiquement wielstadien, pour n'en garder qu'un squelette sans chair. Par exemple :
  • « le kabbaliste trahi, condamné et spolié » devient-il, sans plus de détail, une personne trahie, condamnée et spoliée ;
  • son « âme vengeresse » reste « son porteur de vengeance » ;
  • la Sainte-Vehme devient, en termes plus génériques, un groupe faisant justice par lui-même ;
  • à la place des goules, toute autre forme de tueur sans scrupule, obéissant et un tantinet sociopathe fera l'affaire ;
  • les livres de magie et d'astrologie du kabbaliste peuvent être remplacés par tout autre possession de valeur. Y compris par quelque chose d'immatériel, comme l'amour pour une autre personne.


... puis rhabillons

Pour poursuivre l'adaptation vers un univers différent, il faut donc modeler une nouvelle chair sur ce squelette générique. Cette nouvelle chair apportera la saveur particulière à l'univers d'adaptation, dans ses décors, dans les particularités de l'intrigue et des personnages, tout en respectant la trame initiale autant que possible :
  • si l'on souhaite respecter l'esprit du roman, dans l'adaptation, le « grand méchant » doit être un ancien chercheur, un érudit à tout le moins. Car c'est bien ce qu'était ce kabbaliste, avant d'être trahi et condamné : un chercheur. Les biens précieux dont il a été dépouillé peuvent donc être, par exemple, des documents de valeur établis par un chercheur. Des cartes géologiques indiquant des positions de filons de minerais de grande valeur ? Des recherches en génie génétique ouvrant la voie à la guérison d'une maladie jusque là considéré incurable ? Une collection de tableaux de maîtres ?
  • mais le scénario peut également tourner autour du personnage qui occupait des fonctions différentes de celle-là. Il pouvait être gestionnaire d'un domaine, d'une entreprise, par exemple ;
  • de son côté, le «porteur de vengeance » n'est pas forcément un phénomène surnaturel : il peut s'agir de la personne trahie, elle-même, « qui n'était pas vraiment morte » (un grand classique au cinéma et dans les romans), ou bien de quelqu'un qui a décidé de venger sa mort (un autre de ses disciples, un fils caché, etc.) ;
  • le groupe faisant justice par lui-même peut prendre la forme d'une Inquisition (historique ou futuriste), d'une organisation criminelle, ou encore d'une police politique ;
  • remplacer les goules par un autre type de tueur peut entraîner la disparition, dans le diagramme, de la liaison entre les exécuteurs à la solde du « grand méchant » et la bande de truands avec lesquels ils ont eu maille à partir ; en effet, dans le roman, c'est parce que les mercenaires ont été tués par les truands que le « grand méchant » a pu disposer de leurs cadavres pour en faire des goules. Si les sbires du « grand méchant » ont une origine autre que leur meurtre préalable et la nécromancie, il conviendra, alors, de cogiter une solution de remplacement.

Pour conclure cette présentation de ma méthode d'adaptation, je vais essayer, dans un avenir pas trop lointain, de proposer au moins une adaptation détaillée des Ombres de Wielstadt en scénario de JdR.

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mercredi 3 mars 2010

Du roman au scénario de JdR (6) : réorganiser la matière disponible

Maintenant que je dispose de mon résumé des chapitres, de ma liste de personnages et de mon diagramme, je peux écrire la trame du scénario, en réorganisant la matière disponible. Je n'ai pas de recette-miracle pour cela, et je crois qu'il y a encore matière à pas mal de réflexion sur le sujet, surtout s'il s'agit d'arriver à produire un document qui devra être pris en main par d'autres maîtres de jeu (MJ). Pour moi, un scénario de JdR ne doit pas être conçu comme une nouvelle offrant du plaisir de lecture, mais comme un outil tourné vers une utilisation pragmatique. Je reconnais ne pas suivre, moi-même, dans ma façon d'écrire, cette consigne, et me laisser souvent aller au plaisir d'écrire. Mais je crois que c'est une erreur, parce que ça ne facilite pas la prise en main par un MJ.
Il me semble que l'écriture peut toutefois s'organiser autour des axes suivants.

Exposer l'histoire en quelques mots

Fournir un résumé complet du scénario me paraît être une condition essentielle. Le futur MJ doit comprendre, en quelques lignes, à quel genre d'aventure il va s'attaquer.
Pour un scénario directement adapté des Ombres de Wielstadt, j'écrirais ceci :


Trahi par son propre frère, jaloux de lui, et par un de ses disciples, puis jugé et condamné par un tribunal secret, un kabbaliste a péri sur le bûcher. Mais, après vingt ans d'errance dans les limbes, son âme revient à Wielstadt se venger de ceux qui lui ont fait ce tort, dénonciateurs, témoins, juges, et « héritiers » de ses livres de magie. Les PJ, amenés à enquêter sur une série de meurtres sauvages, devront saisir les liens entre toutes ces victimes, comprendre les tenants et les aboutissants d'une affaire vieille de vingt ans, et terrasser cette âme vengeresse avant qu'elle n'achève son rituel d'incarnation.

Présenter les actes et scènes de l'aventure

Cette présentation peut se faire de manière clinique, sans chichis. Je ne suis pas un grand spécialiste de la théorie d'écriture des scénarios, et des formules du genre « 3 actes découpés en 3 scènes chacun », alors je travaille plutôt à la bonne franquette, même si, au final, je ne suis pas trop éloigné de cette architecture en 3 actes.
Pour l'adaptation « simple » des Ombres de Wielstadt, je m'orienterais vers la structure suivante :
  • ouverture : les 2 premières victimes ont été découvertes. Les PJ sont « mis sur l'affaire », par exemple parce qu'une des victimes est un de leurs amis, ou parce qu'ils sont membres du corps municipal ou de la « police » de la ville et, à ce titre, responsable de la sécurité des citoyens ;
  • acte 1 : les PJ commencent à mener l'enquête et à récolter les premiers indices. Même modus operandi des meurtriers, mais difficulté à comprendre les points communs entre les victimes. La découverte de la 3e victime n'amène pas beaucoup plus de clarté, mais fait monter la pression ;
  • acte 2 : avec la découverte de la 4e victime arrive la découverte de la « liste des 10 ». En progressant, l'enquête amène à entrevoir qu'il y a deux groupes de victimes, celles qui ont « récupéré » des livres de magie et celles qui ont fait partie d'un tribunal secret ;
  • acte 3 : la poursuite de l'enquête, avec le croisement des diverses informations, amène à comprendre que les deux groupes de victimes (« ceux des livres » et « ceux du tribunal ») sont liés par une même affaire ;
  • final : identifier les futures victimes probables permet d'affronter le « grand méchant » dans une scène finale.
Il reste alors à caler des scènes complémentaires, comme le combat contre les goules, ou des intrigues secondaires optionnelles, comme aller demander l'aide des Templiers.

Peindre une belle galerie de PNJ

Pour ne pas encombrer le corps du scénario (la présentation des actes et scènes) avec des détails sur les personnages, leur historique, leurs motivations, je renvoie tout cela à la « galerie des PNJ ». Je ne passionne pas vraiment pour la partie « chiffrée » des PNJ, leur traduction en termes techniques de jeu, à moins que ce ne soit une commande spécifique, un article du cahier des charges d'un concours, etc.

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mardi 2 mars 2010

Du roman au scénario de JdR (5) : le diagramme, élément central

Cette étape de l'élaboration du diagramme est une phase importante dans mon processus d'adaptation. Il replace en situation les personnages de l'intrigue, leurs rôles dans l'aventure, leurs relations, etc., pour en donner une vue synoptique. C'est à partir de cela que, dans la phase suivante, j'organiserai la rédaction du scénario.
Pour Les ombres de Wieldstadt, voici le schéma tel qu'il m'apparaît. J'ai essayé de faire ressortir les forces en présence,  qui peuvent se résumer en trois groupes principaux, dont un comprend deux sous-groupes :
  • le grand méchant et ses sbires ;
  • ses victimes, réparties en deux sous-groupes, celles qui l'ont jugé/condamné et celles qui ont récupéré ses livres de magie ;
  • les empêcheurs de tourner en rond (le chevalier chasseur de créatures maléfiques, ses amis et ses alliés éventuels).
 

lundi 1 mars 2010

Du roman au scénario de JdR (4) : la liste commentée des personnages

Après avoir décortiqué les chapitres du roman, puis élagué mes notes pour n'en retenir que la matière qui me servira au scénario, je m'intéresse maintenant aux principaux personnages de l'histoire, en essayant de bien comprendre les différents camps en présence, les relations entre les personnages, etc. Je mène cela selon deux voies parallèles :
  • d'un côté, je dresse une liste des personnages, en me demandant comment ils pourront s'intégrer au scénario. À l'exception du héros et de quelques-uns de ses amis, qui préfigureront le « groupe de PJ », les autres deviendront des PNJ de premier plan ou d'arrière-plan ;
  • d'un autre côté, j'essaie d'établir mon diagramme représentant les personnages et les relations entre eux (ceci fera l'objet de mon prochain billet).

La liste des personnages me permet de vérifier, en les cochant au fur et à mesure que je les place dans mon diagramme, que je n'ai oublié personne dans le diagramme. Quand je dresse ma liste de personnages, je ne me contente pas d'une série de noms ; j'affecte à chacun quelques mots me rappelant le rôle qu'ils ont dans le roman et celui qu'ils pourront avoir dans le scénario que j'envisage. Bien évidemment, je ne retiens, parmi les personnages du roman que ceux qui ont survécu à l'élagage auquel j'ai précédé précédemment.

Pour les Ombres de Wielstadt, je laisse donc de côté la fée Chandelle, Mme Gebücher, l'astrologue Udo Limm, etc.

Voici la liste des personnages telle que je la dresse et commente :
  • le chevalier Kantz : personnage central du roman, ex-homme de religion, homme d'épée, il lutte contre les créatures démoniaques ;
  • les amis de Kantz : Günther Vecht (libraire imprimeur), Willem (son chef d'atelier), Jacob Huygens (étudiant à l'Université), Appolonius de Pise (poète, philosophe, librettiste), Zacharios (patron d'auberge, source de divers « tuyaux »), Thadeus Lunkevitz (kabbaliste, qui est aussi une victime des meurtres en séries). Pas fondamentalement importants dans l'adaptation en scénario. Toutefois, ils donnent une idée des types de PJ qui pourraient être conseillés pour jouer le scénario (des « lettrés », en plus des habituels « combattants ») ;
  • Rainer von Regenhalt, un représentant de la loi, indirectement mouillé dans cette affaire ;
  • les Templiers : un soutien potentiel pour Kantz (et donc pour les futurs PJ), en cas de « grosse bagarre » ;
  • la « Dame en rouge » : un personnage très mystérieux, qui tire une partie des ficelles en coulisses ;
  • Alexander von Göttenberg, le grand méchant : un ancien kabbaliste, qui revient des Limbes pour se venger de ceux qui l'ont trahi et dépossédé de ses livres de magie ;
  • Horst Kleib et ses mercenaires : devenus, sans l'avoir demandé, les exécuteurs des basses œuvres d'Alexander von Göttenberg, après avoir été tués par la bande à Widauer ;
  • Widauer et ses complices : des truands qui trafiquent dans le dos du Roi Misère ;
  • le Roi Misère : le chef de la pègre, qui n'apprécie pas qu'on essaie de le gruger ;
  • la Sainte-Vehme, les Wissenden (ceux qui savent), les Freischoffer (les francs-juges) : une société secrète qui rend et exécute la justice à sa manière ;
  • une liste de dix noms : ceux qui, membres de la Sainte Vehme, ont jugé et condamné Alexander von Göttenberg ;
  • les victimes : Odensen (tapissier), Holger Heusch (docteur en théologie), Guillem von Göttenberg (aristocrate), Hubert Lefèvre (alchimiste français), Karl Hermlin (libraire), Hanz Gotzler. Ils ont trahi, ou condamné, ou spolié Alexander von Göttenberg, et sont les victimes de sa vengeance. Certains d'entre eux sont dans la « liste de dix noms » ;
  • Reinecker : un spadassin au service de Gotzler.

Il peut m'être également utile de dresser une liste des lieux importants. Dans ce roman-ci, cela ne me semble pas nécessaire, du fait qu'il n'y a quasiment qu'un seul lieu vraiment important, une lieu double - en fait - l'église qui sert de refuge du « grand méchant » et de ses goules, et le cimetière qui la jouxte.
 
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Du roman au scénario de JdR (3) : l'élagage des notes

Après avoir repassé tout le roman en revue et établi le résumé des différents chapitres, je procède à un premier tri, en écartant de ce résumé général les éventuels éléments qui ne sont pas au cœur de l'intrigue principale (celle que je souhaite adapter), comme les intrigues secondaires.

Dans le cas des Ombres de Wielstadt, je délaisse donc, pour commencer, une grande partie du début du roman :
  • le prologue. Je considère que la protection de la ville par le dragon n'est pas un élément indispensable pour le scénario de JdR. Utiliser le dragon comme deus ex machina pour sauver le héros [chapitre 35], ça peut fonctionner dans le roman, mais ça empêcherait les PJ d'un final prenant, dans un scénario de JdR ;
  • tout ce qui a trait à la fée que Kantz a recueillie [chap. 1, chap. 8]. Certes, la créature apporte une touche particulière dans le roman, et rend un fier service à Kantz contre Reinecker [chap. 32], mais je pense que pour le décorticage de trame, je peux m'en passer ;
  • ce qui a trait à la possession de Mme Gebücher [chap. 2], au combat entre Kantz et le démon [chap. 4], à la punition par Kantz de l'astrologue Ugo Limm [chap. 12] ;
  • les détails sur l'auberge « La cigogne noire » [chap. 5]. Je ne conserve que Zacharios, futur PNJ plein de ressources ;
  • le détail du service rendu par Kantz aux Templiers [chap. 7] et le cadeau qu'il reçoit pour cela [chap. 14]. Il me suffit, si je veux garder dans le scénario l'idée d'un soutien possible par les Templiers, de retenir que les Templiers ont une dette d'honneur envers Kantz ;
  • les détails sur la maisonnée de Kantz (sa gouvernante Heide, le jeune Stefan) [chap. 6] ;
  • les bouts de chapitre détaillant certains éléments propres à l'univers du roman mais qui ne sont pas des soutiens forts de l'intrigue : l'histoire de Wielstadt [chap. 3], les informations sur les peuples non humains [chap. 10] et sur les pistolets à rouet [chap. 10]

Une fois tout cela élagué, il reste quand même beaucoup de matière, n'en soyez pas inquiets.

Du roman au scénario de JdR (2) : les chapitres résumés

Après la lecture du roman, quand je veux passer à l'adaptation vers un scénario de jeu de rôles, ma première étape est de reprendre le roman depuis le début, et de noter sur un bloc-notes les éléments-clés de chaque chapitre. Cette phase m'est nécessaire pour bien m'imprégner des détails, avant de prendre du recul pour en tirer les lignes de force, l'organisation de la trame.
Parfois, mon résumé d'un chapitre tient en quelques mots, parce que je n'y vois pas beaucoup de matière qui pourra me servir dans les étapes ultérieures de ma démarche ; pour d'autres chapitres, en revanche, je garde plus de notes, parce que je ressens que ça va me servir de manière plus poussée. Il arrive que, dans un chapitre, l'auteur donne beaucoup d'informations sur l'univers dans lequel l'aventure se déroule, ou sur la vie d'un personnage important de l'aventure ; dans ce cas, je ne recopie pas tout cela sur mon bloc-notes, et je me contente de pointer la ou les pages dans lesquelles je pourrai retrouver toutes ces informations quand elles me seront nécessaires dans la suite de ma démarche.
Je prends des notes à la volée, sans trier, dans cette phase-là, ce que pourra me servir ou pas dans l'adaptation.

Les ombres de Wielstadt s'articulent en 32 chapitres, précédés d'un prologue et suivis d'un épilogue. Voici ce que j'en ai retenu dans mes notes. J'ai retranscrit mes notes telles que je les ai prises sur mon bloc-notes, sans les retoucher. Les indications entre crochets font référence aux chapitres du livre. Les abréviations sont celles que j'ai utilisées pour m'éviter de réécrire, à chaque occurrence, le nom complet de certains personnages.
Pour ne pas dévoiler l'intégralité du contenu du roman, je ne reproduis pas mes notes sur la totalité des chapitres. Mon intention, dans ce billet, est surtout de montrer comment je passe le roman à la moulinette.

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Ambiance générale : le roman se déroule en 1620, dans la ville imaginaire de Wielstadt, située dans le Saint-Empire romain germanique secoué par le début de la guerre de Trente ans.
[Prologue] Un dragon protège la ville de Wielstadt.
[1] Le chevalier Kantz trouve une fée.
[2] Chez Jacob Huygens. Sa logeuse, Mme Gebücher, est possédée.
[3] Un mystérieux cavalier arrive à Wielstadt. Chapitre d'histoire de la ville.
[4] Kantz affronte et tue un démon dans la cave chez Huygens.
[5] Auberge « La cigogne noire », propriété de Zacharios, un faune, ami de Kantz. Feodor, le colosse, domestique de Zacharios.
[6] Kantz prend Stefan, un jeune homme, à son service. Heide, la gouvernante de Kantz.
[7] Kantz rencontre les Templiers. Il leur a rendu un service en libérant l'esprit de l'un des leurs de l'emprise d'une puissance maléfique. → Les Templiers sont un peu les débiteurs de Kantz.
[8] La fée a disparu. Zacharios dit à Kantz qu'on parle d'une « Dame en rouge » revenue à Wielstadt. La fée est retrouvée.
[9] Des mercenaires, conduits par Horst Kleib, viennent fourguer une partie de leur butin à la bande de Widauer. Mais Widauer et ses complices assassinent (poison) HK et sa bande, pour garder le butin pour eux, sans rien dire au Roi Misère dont ils dépendent pourtant. Le mystérieux homme du [3] repère les cadavres de la bande de HK balancés par Widauer et complices au cimetière des Anges aveugles.
(...)
[15] Kantz et ses amis se retrouvent tous les mercredis à la Cigogne noire pour manger ensemble : Günther Vecht (libraire imprimeur), Willem (son chef d'atelier), Jacob Huygens, Appolonius de Pise (poète, philosophe, librettiste). Ce soir-là, leur ami Thadeus n'a pas pu venir, car il est épuisé ces temps-ci.
(...)
[19] Kantz et RvR sont sur les lieux d'un autre crime. La victime est Hubert Lefèvre, un alchimiste français que Kantz connaissait. Kantz repère un lutrin, mais aucun livre n'est posé dessus. Kantz se rappelle les livres chez Heusch.
(...)
[22] Kantz va voir Zacharios, qui connaît Hans Gotzler, un ancien juge réputé pour avoir envoyé beaucoup de monde au gibet. Kantz demande à Zacharios de surveiller le 10e nom de la liste, et d'arranger un rendez-vous avec le Roi Misère. Zacharios informe Kantz qu'une nouvelle tuerie a eu lieu, rue de l'Estrapade (quartier mal famé).
(...)
[30] Flashback : avant l'assaut sur l'église des Anges aveugles, Kantz a pu discuter avec Isaac, le survivant de la bande de Widauer et le faire parler (teneur des propos non révélée au lecteur à ce moment-là). Kantz rencontre RvR et lui explique qu'il a vu le Roi Misère, qui lui a permis de rencontrer et faire parler Isaac et, enfin, de comprendre le font de la rivalité entre la bande de Widauer et les mercenaires étrangers empoisonnés. Isaac a pu échapper au massacre car il n'était pas dans la maison à ce moment-là. Kantz a compris que l'église des Anges aveugles pouvait être le refuge des goules car elles ne peuvent pas s'éloigner longtemps de leur lieu de sépulture ; or c'est là que la bande de Widauer avait abandonné les cadavres des mercenaires empoisonnés. Les goules portent la marque LR (ou LP ?) sur le front. Le juge Gotzler demande à voir Kantz ; il tente de faire pression sur Kantz pour se le mettre dans la poche, mais Kantz refuse. Une fois Kantz parti, Gotzler demande à Reinecker de « s'occuper » de Kantz le soir même.
(...)
[Épilogue] Kantz se recueille sur la tombe de Thadeus, et se demande comment le disciple a pu trahir son maître. La Dame en rouge lui explique que Thadeus y avait été obligé par le Sainte-Vehme (Thadeus était juif, apatride, kabbaliste et sans fortune).

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Voilà donc le genre de matière première dont je dispose à la fin de ma relecture et prise de note.s A titre informatif, mes notes manuscrites sur ce roman tiennent sur 9 pages format A5 (mais je reconnais que j'écris petit !).

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Du roman au scénario de JdR (1) : les éléments de base

Suite à des demandes sur ce point dans le forum Casus NO, je vais détailler, dans une série de prochains billets, une de mes conversions d'un roman à un scénario de jeu de rôle.



Le choix de l'exemple

Pour servir d'exemple didactique, j'ai pris un roman que l'on qualifierait très probablement de « fantasy », et que j'aurais moi-même tendance à ranger dans la catégorie « historico-fantastique ». Il s'agit du roman Les ombres de Wielstadt, de Pierre Pevel (éditions Fleuve Noir, 2001, ISBN : 2-265-07044-0). J'ai retenu ce roman comme base pour la démonstration de ma méthode pour plusieurs raisons :
  • l'auteur a fait ses premières armes d'écriture dans le monde du jeu de rôles ;
  • après l'avoir lu, je me suis très rapidement dit que ça ferait une bonne base pour un scénario de JdR, et ce point-là a donc compté fortement dans mon choix ;
  • si le surnaturel est bien présent dans le roman, il m'a semblé qu'il pouvait être laissé de côté pour en faire une adaptation à un univers de jeu sans fantastique ;
  • l'intrigue du roman, sans être follement originale, est bien menée ;
  • cette intrigue repose sur des ressorts suffisamment universels (la jalousie, la trahison et la vengeance) pour qu'elle soit utilisée dans des univers de JdR très variés.
Compte tenu du fait que cette série de billets va entrer dans les entrailles du roman, les mettre à nu, avant de reconstruire quelque chose qui en sera directement inspiré, j'ai pris contact avec l'auteur, Pierre Pevel, pour lui exposer ma démarche en détail, et solliciter son autorisation de publier ces billets. Après des échanges cordiaux, il m'a accordé son autorisation, au vu de l'intégralité des billets que je compte publier dans cette série. Qu'il en soit ici chaleureusement remercié.


L'histoire des Ombres de Wielstadt en quelques mots [attention, révélation de la trame]

Un kabbaliste renommé est traduit devant un tribunal secret, sur la foi de deux témoignages : celui de son frère, jaloux de lui, et celui de son disciple, victime de pressions liées notamment à sa religion. Après vingt ans d'errance dans les limbes, l'âme du kabbaliste revient dans la ville de Wielstadt se venger de ceux qui l'ont trahi, de ceux qui l'ont jugé et condamné, et de ceux qui se sont partagé ses livres de magie.
La sauvagerie des meurtres signant cette vengeance attire l'attention des autorités locales et du chevalier Kantz, un « chasseur de créatures maléfiques » qui est le héros positif du roman.


À quels jeux l'adapter ?

Ma première réaction après la lecture du roman a été de me dire que cette trame pouvait s'adapter sans grande difficulté à un JdR comme Warhammer : le Saint-Empire germanique de notre Histoire, cadre du roman, colle bien avec le Vieux Monde de Warhammer, les créatures fantastiques du roman (des faunes aux goules) n'y seront pas dépaysées, et les histoires de savants, de sorciers et de vengeance peuvent donner de bonnes aventures warhammeriennes. Mais l'adaptation peut être à peu près aussi aisée pour des jeux « avec fantastique » comme Les secrets de la 7e mer, pour Aquelarre vu sous son angle Villa y Corte, ou encore pour Pavillon Noir en incluant les apports du supplément Entre ciel et terre.
Toutefois, d'autres jeux « avec fantastique » peuvent tout aussi bien convenir à une adaptation, avec un petit peu plus de travail. Je n'ai pas tenté l'exercice concrètement avec des jeux comme Qin ou Praetoria Prima, par exemple, mais même sans être fin connaisseur de ces jeux, je pense que ça ne doit pas être insurmontable.
En délaissant l'aspect fantastique, l'intrigue du roman reste tout de même une bonne base de scénario. Parmi les jeux qui me viennent à l'esprit comme de bons univers d'adaptation, Capitán Alatriste et Te Deum pour un massacre sont en bonne position.
Enfin, pourquoi ne pas imaginer d'adapter ce roman à un univers cyberpunk ? Les limbes dans lesquels l'âme du kabbaliste a erré pendant vingt ans ne pourraient-ils pas être représentés par une matrice informatique ?


Articles à venir

Dans les prochains billets, je montrerai comment je procède au fil des étapes :
  • je prends des notes pour résumer les chapitres (publié) ;
  • j'élague ces notes pour en garder la matière essentielle (publié) ;
  • je dresse la liste commentée des personnages (publié) ;
  • j'établis le diagramme de l'intrigue (publié) ;
  • je réorganise la matière disponible (publié) ;
  • je vais vers une trame générique, avant de lui redonner une autre chair (publié).
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