samedi 20 février 2010

Un exemple concret : De Simla à Istanbul

Pour illustrer ma méthode de base, je vais prendre un cas concret parmi les diverses adaptations que j'ai faites. Dans ce cas-là, je suis parti d'un « petit » roman policier de Barbara Cleverly, Énigmes dans l'Himalaya (titre original : Ragtime in Simla).

Le décor : Simla, la capitale de l'Himachal Pradesh, au nord de l'Inde. Adossée aux pentes de l'Himalaya, elle offre un climat doux en été et joue quasiment le rôle de capitale estivale du temps où l'Inde était anglaise.
L'époque : les années 1920.
La trame [attention, ce qui suit enlève ne grande partie du suspense pour qui n'aurait pas encore lu le livre et souhaite le découvrir] : alors qu'il se rend à Simla où l'a convié le gouverneur du Bengale, un fin limier de Scotland Yard, assiste au meurtre de son compagnon de voyage, un chanteur d'opéra. Qui pourrait donc en vouloir à un artiste lyrique sur les contreforts de l'Himalaya ? Bien évidemment, le limier mène l'enquête. Recoupant différents indices, il découvre le port aux roses : une jeune femme de la bonne société anglaise des Indes n'est pas du tout ce qu'elle paraît. Elle est, en fait, l'ex-domestique d'un couple d'industriels britanniques morts noyés dans le naufrage d'un paquebot. L'ex-domestique a usurpé l'identité de son défunte maîtresse et mis la main sur la fortune familiale. Malheureusement, le chanteur d'opéra qui, par un extraordinaire concours de circonstances fait le voyage jusqu'en Inde, connaît bien la jeune femme sous son identité réelle puisqu'ils ont été amants. Craignant d'être démasquée, elle tue donc ce témoin potentiel gênant.

Partant de là, il n'était pas très difficile d'obtenir une trame à adapter en un scénario de jeu de rôle :
  • la colonne vertébrale est l'usurpation d'identité d'une défunte personne de haute condition sociale par une personne de condition plus basse (tant qu'à dépouiller la trame, peu importe que ces personnes soient des femmes ou des hommes) ;
  • l'élément déclencheur de l'aventure est l'arrivée inopinée d'une troisième personne connaissant l'identité réelle de la personne usurpatrice, et son élimination avant qu'elle puisse dévoiler la machination ;
  • divers indices dans l'histoire récente et passée de ces diverses personnes, exploités par le(s) personnage(s) menant l'enquête (le ou les PJ de ce futur scénario de JdR), conduiront à faire la lumière sur cette usurpation.
La possibilité de tenter l'expérience d'adapter ce roman en scénario m'a été offerte par le 5ème concours de scénarios organisé dans le forum de la Cour d'Obéron, en septembre-octobre 2004. Le thème du concours était « illusion d’optique » et chaque scénario proposé devait comprendre, même sous une forme anecdotique, l'élément « inversion des rôles ». J'étais alors en pleine lecture de Castle Falkenstein  et du supplément Ottoman Empire  paru dans la gamme d'adaptation de cet univers au système Gurps, et il m'avait semblé que la trame de ces Énigmes dans l'Himalaya pouvait être transposé sans trop de souci de l'Inde des années 1920 à l'Istanbul de cette uchronie XIXe siècle qu'est l'univers de Castle Falkenstein.

Pour bâtir mon intrigue, je suis donc parti de mon usurpatrice, ancienne femme de chambre d'une dame anglaise de bonne famille. J'ai « remarié » cette usurpatrice à un Anglais installé à Istanbul où il fait le commerce d'Orient et Occident et vice-versa, et j'ai fait de cet Anglais un agent secret de la Couronne.
Pour ce qui est du témoin gênant, j'ai gardé l'idée fournie par le roman, mais j'ai transformé le chanteur russe en chanteur italien, en partie par envie totalement subjective, et en partie parce que ça évitait de mettre le chanteur trop en avant dans l'aventure. Aurait-il été russe que les joueurs auraient peut-être démarré sur une fausse piste de rivalité russo-turque ; or j'avais déjà quelques fausses pistes dans la manche, et je ne souhaitais pas en mettre trop.
J'ai fait mener l'attaque destinée à faire taire le chanteur d'opéra par les « Frères du Droit Chemin », des fondamentalistes visant à restaurer la grandeur ottomane. Pour brouiller un peu les pistes, j'ai mis le négociant anglais dans les victimes de l'attentat, pour qu'il soit éventuellement vu comme la cible principale (soit en tant que riche négociant « infidèle », soit en tant qu'agent secret pour ceux qui connaissaient son activité cachée).
Pour donner une teinte d'espionnage à cette aventure, j'ai fait de l'usurpatrice un agent des services secrets prussiens, chargée d'infiltrer le réseau d'agents anglais auquel appartient le négociant, et j'ai fait des Frères du Droit chemin les marionnettes manipulées par les Services prussiens.

Le tour était joué ! Un peu d'habillage complémentaire, un spirite pour donner une touche de charlatanisme, et le scénario « Vous ai-je déjà vue quelque part ? » participait au 5ème concours de scénarios de la Cour d'Obéron.

Peu après cette adaptation pour Castle Falkenstein, j'ai écrit une adaptation pour Arkeos, sous le titre « À qui ai-je l'honneur ? », toujours dans ce décor stambouliote, mais cette fois-ci en 1934, et en remplaçant les agents prussiens par des agents allemands.

* * * * *

  • Références du roman en VF : Barbara Cleverly, Énigmes dans l'Himalaya, éditions LGF, collection Le Livre de Poche, 2004, ISBN 978-2253099086.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire