lundi 9 janvier 2012

Secrets de brousse

Des histoires de relations entre un garde du corps et sa cliente, ça ne manque pas dans les polars de papier ou de ciné, et certaines, du sirupeux Bodyguard de Mick Jackson (1992) au mou-du-genou The Sentinel de Gerald Petievich (2006) porté à l’écran sous le même titre par Clark Johnson (2006), ne volent pas beaucoup plus haut que l’histoire entre Daniel Ducruet et Stéphanie de Monaco.
Autant dire que j’étais un peu soupçonneux à l’idée de m’embarquer dans le Blood Safari de Deon Meyer (éditions Hodder & Stoughton, 2009, ISBN 978-0-340-95358-7, traduit de l’afrikaans en anglais par K-L Seegers) après en avoir lu la quatrième de couverture. Entre Lemmer, le garde du corps au passé trouble, et Emma Le Roux, sa cliente qui cherche à savoir si c’est bien son frère disparu depuis 20 ans qu’elle vient d’apercevoir à la télévision, je craignais le piège à l’eau-de-rose, et c’est donc avec prudence que je me suis envolé pour l’Afrique du Sud, ses contrastes entre les villes et les étendues sauvages, ses tensions raciales, et ses jeunes femmes en détresse protégées par des gardes du corps taciturnes.


Mais j’ai vite délaissé ma prudence pour me plonger dans cette histoire menée au pas de course, qui ne laisse quasiment aucun répit au lecteur. Plus le roman avance, plus les personnages prennent de la profondeur : il y a de la force derrière la faiblesse apparente d’Emma Le Roux, et de la fragilité derrière le solide mur de Lemmer. Je me suis laissé embarquer dans cette enquête où les défenseurs de la nature sauvage semblent prêts aux dernières extrémités pour la défendre contre les actions des hommes, où les intrigues se mêlent en un labyrinthe dans lequel on prend plaisir à se perdre.
Si je devais, toutefois, souligner un point qui m’a laissé tiède, ce sont certains passages du livre où il est question des richesses faunistiques de l’Afrique du Sud ; ils m’ont donné l’impression que Deon Meyer n’avait pas réussi à prendre de la distance avec les livres et magazines naturalistes qui l’ont inspiré pour une partie de ce roman, et qu’il s’est laissé aller à faire le conférencier, sur un ton un peu artificiel, plutôt que l’auteur de polar. Je regrette qu’il ait donné presque plus de poids à cela qu’aux réflexions sur les moyens, éventuellement extrêmes, auxquels certains sont tentés de recourir pour protéger la faune sauvage.
Ceci dit, ces quelques passages ne font pas perdre la qualité d’ensemble de ce roman, les réflexions sociales et politiques qu’il soulève, et surtout la superbe intrigue que Deon Meyer nous offre derrière l’écran de fumée dans lequel il nous balade dès le début du roman.

Un très bon polar que vous pourrez lire en français sous le titre Lemmer l’invisible (éditions Points, collection Points Policier, 2010, ISBN 2757816349, si vous ne lisez ni l’afrikaans ni l’anglais.


Un très bon polar, certes. Mais, vous demandez-vous peut-être, qu’en tirer pour du jeu de rôle ? Je réponds ceci :

1) à tout le moins une très bonne intrigue, dont la profondeur ne se révèle qu’au bout du chemin, une vérité plus terrifiante que celle de ces quasi « éco-guerriers » qui terrorisent les braconniers ;

Attention : révélation de l’intrigue
Voilà vingt ans, Jacobus, le frère d’Emma Le Roux, alors garde-chasse dans une réserve naturelle, a été témoin de l’attentat contre l’avion du président du président du Mozambique, Samora Machel. Un attentat commandité par une firme d’armement, et mené à bien en leurrant la navigation électronique dudit avion pour le faire s’écraser dans le désert. Pourchassé par les sbires de cette firme, Jacobus s’est plongé dans la clandestinité, changeant de nom et de visage, avant de reprendre des activités de défense de la nature. Mais, excédé par les exactions de certains paysans contre des espèces protégées, il en abat plusieurs et fait l’objet d’un avis de recherche, relayé par les télévisions du pays. Emma pense reconnaître son frère et se lance à sa recherche, accompagnée d’un garde du corps. Ce n’est qu’après des aventures mouvementées et sanglantes et après avoir retrouvé Jacobus, sous sa nouvelle identité, que l’intrigue évolue vers la mise au jour du complot qui avait conduit à l’assassinat de Samora Machel.
Signalons ici que Deon Meyer s’est directement inspiré, sur ce point-là, de la mort du vrai président Machel, en 1986, dans un accident d’avion, accident que certains Mozambiquais et Soviétiques ont imputés aux services secrets sud-africains aidés par le Mossad israélien qui aurait fourni la technologie nécessaire à tromper les instruments de vol du Tupolev présidentiel...

2) l’occasion de mettre en scène des personnages qui ne seraient pas uniquement des « gros bras ». Si je devais faire jouer une telle aventure, je proposerai d’incarner un journaliste à la place du garde du corps, pour que la confrontation des PJ avec la violence de leurs adversaires soit un défi encore plus difficile à relever ;

3) pour ceux qui tenteront une adaptation directe, c’est un tremplin pour un dépaysement fort, tout en restant dans notre époque actuelle. Ce n’est pas l’Afrique du Sud des colons du XIXe siècle, mais celle d’aujourd’hui, celle d’après la chute de l’apartheid, d’un pays où se côtoient les privilégiés, les désespérés et ceux qui naviguent entre ces deux extrêmes, l’Afrique des villes et du weld ;

4) pour ceux qui ne se sentiraient pas à l’aise avec la mise en scène de l’Afrique du Sud d’aujourd’hui, l’adaptation est possible à des univers moins « proches », plus propices au détachement. Tout ce qu’il faut, c’est un PNJ disparu depuis longtemps et que l’un de ses proches, pensant le reconnaître 20 ans après sa disparition, se lance à sa recherche avec une ou plusieurs autres personnes (ah, les braves PJ !). Faites du PNJ disparu-revenu le témoin gênant d’un complot vieux de 20 ans, et vous êtes prêts pour l’aventure. À vous de régler les « quelques » détails pour habiller l’intrigue des vêtements qui conviennent à votre univers de jeu préféré !


* * * * * *

Pour être vraiment complet, je me dois de préciser que la partie « polar » de ce billet est directement tirée de l’article que j’avais écrit voici près de deux ans sur ce roman dans un autre blog, Le Club Série Noire, en sommeil depuis de longs mois.

lundi 2 janvier 2012

Chasse au trésor en mer Rouge

Dans un précédent article, je signalais le roman Trésor de guerre, de C. S. Forester comme une inspiration de scénario de chasse au trésor. Et j’indiquais qu’il était possible d’adapter cette histoire des temps napoléoniens à d’autres contextes.

Eh bien, c’est chose faite sous ma plume, puisqu’un scénario pulp, dont le décor est celui de la mer Rouge des récits de Henry de Monfreid, sera publié dans le n°4 du magazine Di6dent. J’ai emprunté à ce roman l’intrigue de la recherche du trésor destiné à acheter l’alliance d’une puissance annexe et du naufrage du navire le transportant.
Pour l’adaptation à l’ambiance mer Rouge, je me suis bien évidemment laissé bercer par les romans d’Henry de Monfreid, comme Les secrets de la mer Rouge (1931) ou La cargaison enchantée (1962 ; initialement parue sur le titre de Charras, en 1947).


J’ai également puisé des idées dans des biographies de ce personnage exceptionnel, dont Henry de Monfreid, Flibustier de la mer Rouge, de Philippe Baraduc (Arthaud, 1998).


Cette biographie, remarquablement illustrée, et le recueil des photographies prises par Monfreid lui-même, dans En mer rouge : Henry de Monfreid Aventurier et photographe, de Guillaume de Monfreid (Gallimard, 2005) ont contribué à forger les images mentales que je me faisais de cette aventure rôlistique. 


Tout comme la série télévisée Les secrets de la mer Rouge, de Claude Guillemot, d’après les romans de Monfreid (saison 1 en 1968, 13 épisodes ; saison 2 en 1975, 13 épisodes).

Les connaisseurs et les curieux de Monfreid pourront trouver des compléments sur lui dans les pages du site www.henrydemonfreid.com

Quelques idées complémentaires me sont venues des Éthiopiques de Hugo Pratt.



Enfin, comment ne pas penser un peu à Kelly’s Heroes / De l’or pour les braves, de Brian G. Hutton (1970), lorsqu’il s’agit d’aller « braquer » un trésor derrière les lignes ennemies ? Un MJ y trouvera des pistes pour développer des scènes ou des PNJ que je n’ai pas pu développer dans mon texte, du fait de la contrainte sur le nombre total de signes.